uvez agir sur mon mari.
Adeline sonna, et au garcon qui ouvrit la porte, il recommanda qu'on ne
laissat monter personne.
--Il y a sept ans que je sais mariee, dit-elle, j'ai apporte une dot de
cent mille francs a mon mari, et un an apres, a la mort de mon pere,
deux cent mille francs. Quand mon mari m'a epousee, il n'avait pas
de fortune, mais il avait son talent et son nom qui lui rapportaient
cinquante ou soixante mille francs. Nous vivions largement dans un petit
hotel de la rue Jouffroy que mon mari avait fait construire, et que nous
avions paye, ainsi que son ameublement, avec ma dot et l'heritage de mon
pere. Ce n'etait point la une prodigalite, car vous savez que le peintre
qui n'a pas son hotel n'a guere de prestige sur le marchand de tableaux
et encore moins sur l'amateur; c'est une necessite professionnelle,
quelque chose comme un outillage. Nous etions tres heureux, j'etais tres
heureuse: aimee de mon mari, l'aimant, vivant de sa vie, pres de lui,
fiere de le voir travailler, fiere de le voir se retourner vers moi pour
me demander mon sentiment d'un geste ou d'un coup d'oeil je ne quittais
pas l'atelier, et en six annees, les seules heures que je n'aie point
passees a ses cotes sont celles ou je promenais mes filles au parc
Monceau. La crise que traverse la peinture nous avait cependant
atteints, et des soixante mille francs que gagnait mon mari pendant les
premieres annees de notre mariage, il etait tombe a quelques milliers de
francs seulement, les marchands n'achetant plus, comme vous le savez.
Il avait fallu restreindre nos depenses. J'avais ete la premiere a le
demander, et j'avais pu organiser une nouvelle existence... suffisante
au moins pour moi, et qui pouvait tres bien se prolonger jusqu'a des
temps meilleurs. Les choses allaient ainsi lorsqu'il y a trois mois, il
y aura dimanche trois mois, pour mon malheur, je ne sais la date que
trop bien, M. Fastou...
Adeline laissa echapper un mouvement.
--... Le statuaire, celui qui fait partie de votre cercle, vint voir mon
mari. Naturellement, on parla du krach. Fastou gronda mon mari, lui dit
qu'il etait trop loup, que, puisque les marchands n'achetaient plus, il
fallait vendre aux amateurs; mais que, pour les trouver, on devait aller
les chercher; que, pour les rencontrer dans des conditions favorables,
les cercles, terrain neutre, etaient un bon endroit; que, pour lui,
c'etait a son cercle qu'il avait obtenu la commande des douze ou quinze
bustes
|