ant sa
cuisine, blaguant son vieux mobilier qui, pour la premiere fois depuis
quarante ans, lui semblait aussi peu confortable que ridicule.
II
Si grande que fut la satisfaction d'Adeline, elle n'etait pourtant pas
sans melange.
Quand il se disait que Son Altesse le prince de... le duc de..., le
marquis de..., etaient venus perdre quelques milliers de francs chez
lui, il eprouvait un sentiment de vanite dont il ne pouvait se defendre;
et quand il se disait aussi que le cercle qu'il presidait servait de
trait d'union entre la bourgeoisie republicaine et le monde elegant,
c'etait un sentiment de juste fierte qui le portait et auquel il pouvait
s'abandonner franchement, avec la conscience du devoir accompli.
Mais quand, d'autre part, il se disait qu'il devait pres de cinquante
mille francs a la caisse de _son_ cercle, qui n'etait pas _sa_ caisse,
par malheur, c'etait un sentiment de honte qui l'aneantissait.
Comment avait-il pu se laisser entrainer a jouer?
C'etait avec bonne foi, avec conviction qu'il avait rassure sa femme
lorsqu'elle avait manifeste la crainte qu'il ne devint joueur.
--Moi, joueur!
Il se croyait alors d'autant plus surement a l'abri, qu'il avait joue
dans sa jeunesse et que par experience il connaissait les dangers du
jeu.
Ce n'est pas quand on a ete entraine une premiere fois et qu'on a eu la
chance de se sauver, qu'on se laisse prendre une seconde. A vingt ans
on a une faiblesse et une ignorance, des emportements et des vaillances
qu'on n'a plus a cinquante apres avoir appris la vie.
Qu'il eut joue et perdu de grosses sommes en voyageant en Allemagne,
il y avait eu alors toutes sortes de raisons et meme d'excuses a sa
faiblesse: sa maitresse etait joueuse; les casinos etaient devant lui
avec leurs portes ouvertes et leurs tentations; l'argent qu'il risquait
et qu'il n'avait point eu la peine de gagner ne lui coutait rien, pas
meme un regret bien profond s'il le perdait, puisque cette perte etait
legere pour la fortune de ses parents.
Dans ces conditions, il avait pu jouer. Sa faute etait simplement celle
d'un jeune homme riche, d'un fils de famille qui s'amuse, sans faire
grand mal a personne, ni a sa famille, ni a lui-meme; c'avait ete une
epreuve salutaire; s'il etait entre dans la fournaise, il s'y etait
bronze, et si completement que depuis vingt-cinq ans il n'avait plus
joue. Pourquoi eut-il joue? Il n'avait jamais eu le gout des cartes;
s'asseoir pendant des heures dev
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