e fut jamais pour ce
soir-la.
Enfin, un soir que la partie languissait en attendant la sortie des
theatres et que le croupier venait de prononcer la phrase sacramentelle:
--Qui prend la banque?
Il se decida a quitter la place ou il semblait cloue, et, s'avancant
vers la table:
--Moi, dit-il.
IV
--Le president prend la banque!
C'etait le cri qui instantanement avait couru dans tout le cercle.
Meme dans les salons des jeux de commerce, les joueurs de whist et
d'ecarte, les joueurs de billard aussi, de tric-trac, meme d'echecs,
avaient quitte leur partie pour voir cette curiosite: le president
taillant une banque; eveilles par ce brouhaha, ceux qui sommeillaient
dans le salon de lecture ou ca et la dans les coins sombres, avaient
suivi le courant qui se dirigeait vers la salle de baccara:
--Auguste, six mille.
A cette demande de son president, Auguste, le chef de partie, sans meme
consulter Barthelasse du regard, ce qui ne lui etait jamais arrive,
s'etait empresse d'apporter en jetons et en plaques sur un plateau
les six mille francs, et respectueusement, religieusement, avec une
genuflexion de sacristain devant l'autel, il les avait deposes sur la
table.
C'etait chose tellement extraordinaire, tellement stupefiante de voir
"M. le president" tailler une banque, que Julien le croupier oubliait
de presser la marche de la partie. Il attendait qu'autour de la table
chacun eut trouve sa place, ce qui etait difficile, car ceux qui
occupaient deja des sieges n'avaient eu garde de les abandonner.
Dans cette salle ordinairement silencieuse ou sous ce haut plafond
regnait toujours une sorte de recueillement comme dans une eglise ou un
tribunal, s'etait eleve un brouhaha tout a fait insolite.
Cependant Adeline s'etait assis sur sa chaise de banquier, un peu
surpris de se trouver si eleve au-dessus des pontes assis autour de la
table; son coeur battait fort, et il regardait autour de lui vaguement,
sans trop voir, car c'etait au dela de cette table qu'etaient son esprit
et sa pensee.
En attendant que le jeu commencat, un de ceux qui se tenaient a cote de
sa chaise se pencha sur son epaule, et d'une voix moqueuse:
--Tenez-vous bien, mon president, la lutte sera terrible: Frimaux
revient de l'Odeon.
Un eclat de rire courut autour de la table et tous les yeux s'arreterent
sur un joueur assis a cote du croupier et qui n'etait autre que Frimaux,
le plus grand feticheur du cercle. Au theatre, ou il av
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