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Quand il avait vu des joueurs changer leurs jetons et leurs plaques a la
caisse contre cent ou cent cinquante mille francs de billets de banque,
il n'avait pas pu se defendre contre un certain sentiment d'envie et ne
pas se dire que c'etait de l'argent facilement, agreablement gagne en
quelques heures.
De la a se dire que si cette bonne aubaine lui arrivait, elle serait la
bienvenue, il n'y avait pas loin, et ce petit pas il l'avait franchi.
Le jeu a cela de bon qu'il n'exige pas un talent particulier pour y
reussir, un long apprentissage, au moins dans le baccara, le gain comme
la perte sont affaire de hasard, de chance personnelle: il y a des gens
qui ont cette chance, et ils gagnent; il y en a qui ne l'ont pas, et
ils perdent, voila tout. Quand il etait tout jeune, et qu'il jouait des
billes a pair ou non avec ses camarades, il avait une chance constante,
cela etait un fait. Plus tard, pendant son voyage en Allemagne,
lorsqu'il etait entre a Bade dans la salle de la roulette, il avait mis
un louis sur le 24, qui etait le chiffre de son age, et le 24 etait
sorti. A Hombourg, il avait en riant avec sa maitresse recommence la
meme experience, et le 24 etait sorti encore. Deux numeros pleins
sortant ainsi expres pour lui, a son appel pour ainsi dire, cela
n'etait-il pas particulier et ne constituait-il pas une chance
personnelle? A la verite, elle n'avait pas continue, et il avait perdu
a la roulette et au trente et quarante plus, beaucoup plus que les
soixante-douze louis qu'il avait tout d'abord gagnes. Mais cette perte
n'etait pas, semblait-il, caracteristique, comme son gain, et elle ne
prouvait nullement qu'a un moment donne il n'avait pas eu la chance--une
chance providentielle. S'use-t-elle? Quand on l'a eue et qu'on l'a
egaree, ne revient-elle pas? C'etaient la des questions qu'il n'avait
pas songe a examiner, puisqu'il avait renonce au jeu pendant de longues
annees, mais qui maintenant lui revenaient.
Comme cela arrangerait ses affaires si, en quelques coups de cartes,
il gagnait deux cent mille francs: quelle joie pour Berthe, car ils
seraient pour elle; et s'il est vrai, comme on le dit, que la chance est
aux jeunes, ne serait-ce pas la chance de Berthe qui reglerait cette
partie qu'il ne jouerait pas pour lui-meme? En somme, il y a une justice
superieure qui dirige les choses et les destinees en ce monde, et cette
justice ne pouvait pas permettre qu'une bonne et brave fille comme
Berthe, qui n'av
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