ait jamais fait que du bien, fut malheureuse.
Il avait alors ete frappe d'une remarque qui, jusqu'a ce jour, ne
s'etait pas presentee a son esprit. C'est que celui qui a de la fortune
ou qui gagne largement, surement, ce qui est necessaire a ses besoins,
ne considere pas le jeu au meme point de vue que celui qui est gene et
qui, quoi qu'il fasse, se retrouve toujours devant un trou. Les gains du
jeu eussent ete de peu d'interet pour lui quand il possedait sa fortune
hereditaire qu'augmentaient tous les ans les benefices de sa maison de
commerce, tandis que maintenant que cette fortune avait disparu et que
sa maison ne donnait plus de benefices, ces gains arriveraient bien a
propos pour combler le trou qu'il voyait sans cesse devant lui.
Et de temps en temps, pendant que ce travail se faisait en lui,
retentissait a son oreille la phrase qu'il etait habitue a entendre:
--Eh bien, mon president, vous ne jouez jamais!--Quel beau banquier vous
feriez!
Le beau banquier est celui qui gagne sans que sa physionomie riante, ses
gestes desordonnes, ses eclats de voix insultent au malheur des pontes,
et qui, quand il a neuf en main, ne s'amuse pas a etudier longuement son
point pour torturer a l'avance ceux que dans quelques secondes il va
saigner a blanc.
Et, bien qu'il ne fut pas vaniteux, Adeline etait flatte qu'on ne crut
pas, que, s'il jouait, il serait un de ces pauvres diables de pontes
qui viennent miserablement au cercle pour jouer la _materielle_,
c'est-a-dire tacher de gagner quelques louis qu'il leur faut pour la vie
au jour le jour; recommencant le lendemain ce qu'ils ont fait la veille,
atteles a ce labeur aussi dur que n'importe quel travail et qui, en
usant les nerfs par une tension constante, conduit au gatisme ceux qui
le continuent longtemps.--Banquier et beau banquier meme, certainement
il le serait... s'il voulait, mais il ne voulait pas l'etre, pas plus
que ponte d'ailleurs.
Quand Raphaelle avait fonde _son_ cercle, car dans l'intimite elle
disait _son_ cercle, comme Frederic et Adeline le disaient eux-memes,
elle aurait voulu etre la seule a mettre de l'argent dans l'affaire, de
maniere a toucher seule les benefices. Malheureusement cela lui avait
ete impossible, et elle avait du accepter de ses amis ce qui lui
manquait, ou plutot d'un ami de Frederic, son ancien patron, le vieux
Barthelasse. Brule partout, aussi bien comme joueur; que comme directeur
de cercle, Barthelasse en etait reduit dans sa
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