ant un tapis vert, sous la lumiere d'une
lampe, rester immobile, ne pas parler, l'ennuyait; il etait assez riche
pour que l'argent gagne au jeu ne lui donnat aucun plaisir, et il ne
l'etait pas assez pour que celui perdu ne lui fut pas une cause de
regret et de remords. Pendant vingt ans il n'avait cesse de repeter
cette maxime aux jeunes gens qu'il voyait jouer:
--Que faites-vous la, jeunes fous? Voulez-vous bien vous sauver?
Amusez-vous tant que vous voudrez, ne jouez pas.
Et voila que lui, vieux fou, avait fait ce qu'il reprochait aux autres.
Comme il etait sincere, pourtant, dans ses remontrances; comme il les
trouvait miserables, ceux qui succombaient a la passion du jeu!
Encore ceux-la etaient-ils jusqu'a un point excusables, puisqu'ils
etaient des passionnes, c'est-a-dire des etres inconscients et par la
des irresponsables; mais lui, quand pour la premiere fois il s'etait
assis a la table de baccara de son cercle, il n'avait pas ete pousse par
la main irresistible de la passion.
C'etait meme cette absence de passion pour le jeu, cette certitude que
les cartes l'ennuyaient acquise dans sa premiere jeunesse, et confirmee
pendant plus de vingt-cinq ans par une abstention absolue, qui lui
avaient inspire une complete securite lorsqu'il avait discute dans sa
conscience la question de savoir s'il accepterait ou s'il refuserait les
propositions de Frederic.
Qu'il se decidat, et il etait assure a l'avance de n'avoir rien a
craindre pour lui-meme: on ne devient pas joueur parce qu'on vit au
milieu des joueurs et qu'on voit jouer; le jeu n'est pas une maladie
contagieuse qui se gagne par les yeux, alors surtout qu'on plaint ou
qu'on meprise ceux qui ont le malheur d'en etre infectes.
Comme ces fievreux et ces agites lui paraissaient ridicules ou
pitoyables: sur leurs visages convulses, rouges ou pales, selon le
temperament, dans leurs mouvements saccades, dans leurs regards ivres de
joie ou navres de douleur, dans leur exaltation ou leur aneantissement,
il s'amusait a suivre les sensations par lesquelles ils passaient.
Et avec la satisfaction egoiste de celui qui, du rivage, jouit de
l'horreur d'une tempete, il se disait qu'heureusement pour lui il etait
a l'abri de ce danger.
--Qu'irait-il faire dans cette galere?
Mais comme l'egoisme justement ne faisait pas du tout le fond de sa
nature, comme il etait au contraire bonhomme, et compatissait d'un coeur
sensible a la douleur et au malheur, plus d'une f
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