Enchante de cet heureux resultat, il en avait fait part au docteur
Barbolamo, en le remerciant de ses avis passes, et en lui demandant ses
conseils pour l'avenir.
Barbolamo avait hesite avant de lui conseiller de pousser les choses
jusqu'au mariage. C'etait, a ses yeux, quelque chose de profondement
triste et de hideusement laid que l'amour mathematiquement calcule de cet
homme au coeur use, au sang appauvri, pour une belle creature naive et
genereuse, qui allait, en echange de cette tendresse interessee et de ces
transports premedites, lui livrer tous les tresors d'une passion puissante
et vraie.
"C'est l'accouplement de la vie avec la mort, de la lumiere celeste avec
l'Erebe, se disait l'honnete medecin. Et pourtant elle l'aime, elle croit
en lui; elle souffrirait maintenant s'il renoncait a la poursuivre. Et
puis elle se flatte de le rendre meilleur, et peut-etre y reussira-t-elle.
Enfin cette belle fortune, qui ne sert qu'a divertir de frivoles
compagnons et de viles creatures, va relever l'eclat d'une illustre maison
ruinee, et assurer l'avenir de cette belle fille pauvre. Toutes les femmes
sont plus ou moins vaines, ajoutait Barbolamo en lui-meme: quand la
signora Soranzo s'apercevra du peu que vaut son mari, le luxe lui aura
cree des besoins et des jouissances qui la consoleront. Et puis, en
definitive, puisque les choses en sont a ce point et que les deux familles
desirent ce mariage, de quel droit y mettrais-je obstacle?"
Ainsi raisonnait le medecin; et cependant il restait trouble
interieurement; et ce mariage, dont il etait la cause a l'insu de tous,
etait pour lui un sujet d'angoisses secretes dont il ne pouvait ni se
rendre compte ni se debarrasser. Barbolamo etait le medecin de la famille
Memmo; il connaissait Argiria depuis son enfance. Elle le regardait comme
un impie, parce qu'il etait un peu sceptique et qu'il raillait volontiers
toutes choses: elle l'avait donc toujours traite assez froidement, comme
si elle eut pressenti des son enfance qu'il aurait une influence funeste
sur sa destinee.
Le docteur, ne la connaissant pas bien, et ne sachant que penser de ce
caractere froid et un peu altier en apparence, sentait pourtant dans son
ame probe et droite qu'entre elle et Soranzo sa sollicitude n'avait pas a
hesiter, et se devait tout entiere au plus faible. Il eut voulu consulter
Argiria; mais il ne l'osait pas, et il se disait qu'elle etait d'un esprit
assez ferme et assez decide pour savoir elle-
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