'etaient ouvertes,
et les serviteurs, consternes, les avaient amenes jusqu'a la chambre de
leur maitre. Derriere eux marchait un groupe d'hommes armes, et la sombre
gondole flanquee de quatre sbires attendait a la porte.
"Messer Pier Orio Soranzo, j'ai ordre de vous arreter, vous et ce jeune
homme votre serviteur, et tous les gens de votre maison, dit le chef des
agents. Veuillez me suivre.
--J'obeis, dit Orio d'un ton hypocrite. Jamais le pouvoir sacre qui vous
enrole ne trouvera en moi ni resistance ni crainte; car je respecte son
auguste omnipotence, et j'ai confiance en son infaillible sagesse. Mais je
veux ici faire une declaration, premier hommage rendu a la verite, qui
sera mon guide austere en tout ceci. Je vous prie donc de prendre acte de
ce que je vais reveler devant vous et devant tous mes serviteurs. J'ignore
pour quelle cause vous venez m'arreter, et je ne puis presumer que vous
sachiez les choses que je vais dire. C'est a cause de cela precisement que
je veux eclairer la justice et l'aider dans son rigoureux exercice. Ce
serviteur, que vous prenez pour un jeune homme, est femme... Je l'ignorais,
et tous ceux qui sont ici l'ignoraient egalement. Elle vient de rentrer
ici tout a l'heure en desordre, le visage et les mains ensanglantes, comme
vous la voyez. Pressee par mes questions et effrayee de mes menaces, elle
m'a avoue son sexe et confesse qu'elle venait d'assassiner le comte
Ezzelin, parce qu'elle l'a reconnu pour le guerrier chretien qui a tue son
amant dans la melee, a l'affaire de Coron, il y a deux ans."
L'agent fit sur-le-champ ecrire la declaration de Soranzo. Cette formalite
fut remplie avec l'impassible froideur qui caracterisait tous les hommes
affilies au tribunal des Dix. Tandis qu'on ecrivait, Orio, s'adressant a
Naam dans sa langue, lui expliqua ce qu'il venait de dire aux agents, et
l'engagea a se conformer a son plan.
"Si je suis inculpe, lui dit-il, nous sommes perdus tous les deux; mais,
si je me tire d'affaire, je reponds de ton salut. Crois en moi, et sois
ferme. Persiste a t'accuser seule. Avec de l'argent tout s'arrange dans ce
pays. Que je sois libre, et sur-le-champ tu seras delivree; mais, si je
suis condamne, tu es perdue, Naam!..."
Naam le regarda fixement sans repondre. Quelle fut sa pensee a cet instant
decisif? Orio s'efforca en vain de soutenir ce regard profond qui
penetrait dans ses entrailles comme une epee. Il se troubla, et Naam
sourit d'une maniere etrange
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