tu entourais tes nouvelles amours d'un
mystere outrageant pour moi. Je t'observais, et je ne te disais
rien.
"Ton ennemi est revenu. Je l'avais vu une seule fois; je ne pouvais ni
l'aimer ni le hair. J'aurais ete portee a l'estimer, parce qu'il etait
brave et malheureux. Mais il etait force de te chasser de chez sa soeur,
il etait force de t'accuser et de te perdre; j'etais forcee de te delivrer
de lui. Tu m'as dit de chercher un bravo pour l'assassiner; je ne me suis
fiee qu'a moi-meme, et j'ai voulu l'assassiner. J'ai frappe le serviteur
pour le maitre; mais je l'ai frappe comme tu n'aurais pas su le frapper
toi-meme, tant tu es dechu et affaibli, tant tu crains maintenant pour ta
vie. Au lieu de me savoir gre de ce nouveau crime, commis pour toi, tu
m'as outragee en paroles, tu as leve la main pour me frapper. Un instant
de plus, et je te tuais. Mon poignard etait encore chaud. Mais, la
premiere colere apaisee, je me suis dit que tu etais un homme faible, use,
egare par la peur de mourir; je t'ai pris en pitie, et, sachant qu'il me
fallait mourir moi-meme, n'ayant aucun espoir, aucun desir de vivre, j'ai
refuse de t'accuser. J'ai subi la torture. Orio! cette torture qui te
faisait tant peur pour moi, parce que tu croyais qu'elle m'arracherait la
verite. Elle ne m'a pas arrache un mot; et, pour recompense, tu as voulu
m'empoisonner hier. Voila pourquoi je parle aujourd'hui. J'ai tout
dit."
En achevant ces mots, Naam se leva, jeta sur Orio un seul regard, un
regard d'airain; puis, se tournant vers les juges:
"Maintenant, vous autres, dit-elle, faites-moi mourir vite. C'est tout ce
que je vous demande."
Le silence glacial, qui semblait au nombre des institutions du terrible
tribunal, ne fut interrompu que par le bruit des dents de Soranzo qui
claquaient dans sa bouche. Morosini fit un grand effort pour sortir de
l'abattement ou l'avait plonge ce recit, et, s'adressant au docteur:
"Cette jeune fille, lui dit-il, a-t-elle quelque preuve a fournir de
l'assassinat de ma niece?
--Votre seigneurie connait-elle cet objet? dit le docteur en lui
presentant un petit coffret de bronze artistement cisele, portant le nom
et la devise des Morosini.
--C'est moi qui l'ai donne a ma niece, dit l'amiral. La serrure est
brisee.
--C'est moi qui l'ai brisee, dit Naam, ainsi que le cachet de la lettre
qu'il contient.
--C'etait donc vous qui etiez chargee de le remettre au lieutenant
Mezzani?
--Oui, c'etait elle, repo
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