g du quai, se rembarqua un peu au-dessous du cafe, et la gondole
s'eloigna lentement.
"Pauvre signora Ezzelin! dit un des bourgeois en la suivant des yeux; elle
est encore bien pale, mais elle a l'air parfaitement raisonnable.
--Oh! elle est tres-bien guerie! reprit un autre bourgeois. Ce brave
docteur Barbolamo, qui l'accompagne partout, est un si habile medecin et
un ami si devoue!
--Elle etait donc vraiment folle? dit un troisieme.
--Une folie douce et triste, reprit le premier. La perte et le retour
inattendu de son frere le comte Ezzelin lui avaient fait une si grande
impression que pendant longtemps elle n'a pas voulu croire qu'il fut
vivant: elle le prenait pour un spectre, et s'enfuyait quand elle le
voyait. Absent, elle le pleurait sans cesse; present, elle avait peur de
lui.
--Certes! ce n'est pas la la vraie cause de son mal, dit le second
bourgeois. Est-ce que vous ne savez pas qu'elle allait epouser Orio
Soranzo au moment ou il a disparu par la?"
En parlant ainsi, le citoyen de Venise indiquait d'un geste significatif
le canal des prisons qui coulait a deux pas de la tente.
"A telles enseignes, reprit un autre interlocuteur, que, dans sa folie,
elle se faisait habiller de blanc, et pour bouquet de noces mettait a son
corsage une branche de laurier dessechee.
--Qu'est-ce que cela signifiait? dit le premier.
--Ce que cela signifiait? je m'en vais vous le dire. La premiere femme
d'Orio Soranzo avait ete amoureuse du comte Ezzelin; elle lui avait donne
une branche de laurier en lui disant: Quand la femme que Soranzo aimera
portera ce bouquet, Soranzo mourra. La prediction s'est verifiee. Ezzelin
a donne le bouquet a sa soeur et Soranzo s'est evapore comme tant
d'autres.
--Et que le doge n'ait rien dit et ne se soit pas inquiete de son neveu!
voila ce que je ne concois pas!
--Le doge? le doge n'etait dans ce temps-la que l'amiral Morosini; et
d'ailleurs qu'est-ce qu'un doge devant le conseil des Dix?
--Par le corps de saint Marc! s'ecria un brave negociant qui n'avait
encore rien dit, tout ce que vous dites la me rappelle une rencontre
singuliere que j'ai faite l'an passe pendant mon voyage dans l'Yemen.
Ayant fait ma provision de cafe a Moka meme, il m'avait pris fantaisie de
voir la Mecque et Medine.
"Quand j'arrivai dans cette derniere ville, on faisait les obseques d'un
jeune homme qu'on regardait dans le pays comme un saint, et dont on
racontait les choses les plus merveilleuses
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