faire jour, lui demanda
avec civilite, et en l'appelant par son nom, s'il n'avait pas vu ou
entendu quelque chose d'extraordinaire, un homme en fuite, ou un combat
sur son chemin, dans le quartier qu'il venait de parcourir. Mais le
docteur, au lieu de repondre, recula de surprise, et faillit tomber a la
renverse en voyant devant lui le spectre d'un homme qu'il croyait mort
depuis un an, et dont la perte douloureuse avait ete pleuree par sa
famille.
"Ne soyez ni etonne ni effraye, mon cher docteur, dit le fantome; je suis
votre fidele client et ancien ami le comte Ermolao Ezzelin, que vous avez
peut-etre eu la bonte de regretter un peu, et qui a echappe, comme par
miracle, a des malheurs etranges..."
En cet endroit de la deposition du docteur, Orio se tordit les poings sous
son manteau. Ses yeux rencontrerent ceux du docteur. Ils avaient
l'expression ironique et un peu cruelle de l'homme d'honneur dejouant les
ruses d'un scelerat.
La lecture continua.
"Le comte Ezzelin dit alors au docteur qu'il le verrait plus a loisir pour
lui parler de ses affaires; mais que, pour le moment, il le priait
d'excuser son inquietude, et de l'aider a eclaircir un fait bizarre. Un
joueur de luth, qu'a son costume il avait cru reconnaitre pour l'esclave
arabe de messer Orio Soranzo, etait venu sous la fenetre de la signora
Argiria, et avait semble chercher a braver la defense du maitre de la
maison, qui lui prescrivait du geste et de la voix d'aller faire de la
musique plus loin. Le comte Ezzelin, impatiente, etait sorti et s'etait
lance a sa poursuite; mais, s'etant avise qu'il etait sans armes, et que
ce musicien pouvait bien etre le provocateur d'un guet-apens (d'autant
plus que le comte avait de fortes raisons pour penser que messer Soranzo
lui tendrait quelque embuche), il etait rentre pour prendre son epee. Au
moment ou il passait la porte de son palais, son brave et fidele serviteur
Danieli en sortait, et, inquiet de cette aventure, venait a son aide.
Danieli courut sur le joueur de luth. Pendant ce temps le comte rentra
dans une salle basse, et prit a la muraille une vieille epee, la premiere
qui lui tomba sous la main. Il fut retenu quelques instants par sa soeur
epouvantee, qui s'etait jetee dans les escaliers, et qui tremblait pour
lui. Il eut quelque peine a se degager; mais, s'etonnant de ne pas voir
revenir Danieli, il s'elanca dans la meme direction. Voyant cette rue
deserte et silencieuse, il avait pris a gauche, et
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