'Archipel qui etait le quartier general adopte par les pirates depuis
l'arrivee de Mocenigo dans le golfe de Lepante. La Ezzelin retrouva
Hussein et toute sa bande, et vecut pres d'un an en esclave, refusant
obstinement le trafic de sa liberte et de faire passer de ses nouvelles a
Venise.
Interroge sur les motifs de cette conduite singuliere, le comte repondit
avec une noblesse qui emut profondement Morosini et le docteur:
"Ma famille est pauvre, dit-il, j'avais acheve de ruiner mon patrimoine en
perdant ma galere et mon equipage aux iles Curzolari. Il ne restait pour
ma rancon que la faible dot de ma jeune soeur et la modique aisance de ma
vieille tante. Ces deux femmes genereuses eussent donne avec empressement
tout ce qu'elles possedaient pour me delivrer, et l'insatiable juif,
refusant de croire qu'on put allier a un grand nom un tres-miserable
heritage, les eut depouillees jusqu'a la derniere obole. Heureusement, il
avait a peine entendu prononcer mon nom, et j'avais reussi d'ailleurs a
lui faire croire qu'il s'etait trompe, et que je n'etais point celui qu'il
avait pense derober a la haine de Soranzo. J'essayai de lui persuader que
je n'etais pas de Venise, mais de Genes; et, tandis qu'il faisait
d'infructueuses recherches pour me trouver une famille et une patrie, je
songeais a m'evader et a conquerir ma liberte sans l'acheter.
"Apres bien des tentatives infructueuses, apres des dangers sans nombre et
des revers dont le detail serait ici hors de propos, je parvins a fuir et
a gagner les cotes de Moree, ou je recus des garnisons venitiennes secours
et protection. Mais je me gardai bien de me faire reconnaitre, et je me
donnai pour un sous-officier fait prisonnier par les Turcs a la derniere
campagne. Je tenais a convaincre le traitre Soranzo de ses crimes, et je
savais que, si le bruit de mon salut et de mon evasion lui arrivait, il se
soustrairait par la fuite a ma vengeance et a celle des lois de la patrie.
"Je gagnai donc assez miserablement le littoral occidental de la Moree, et,
au moyen d'un modique pret qui me fut loyalement fait, sur ma seule
parole, par quelques compatriotes, je parvins a m'embarquer pour Corfou.
Le petit batiment marchand sur lequel j'avais pris passage fut force de
relacher a Cephalonie, et le capitaine voulut y sejourner une semaine pour
des affaires. Je concus alors la pensee d'aller visiter les ecueils de
Curzolari, desormais purges de leurs pirates, et delivres de leur funeste
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