ive au moment decisif. Les terreurs d'Orio s'etaient realisees, et
ce qui prouva bien a Barbolamo que cet homme ignorait le remords, c'est
qu'il n'eut plus peur des morts des qu'il eut affaire aux vivants. Son
esprit n'etait plus occupe que des moyens de se soustraire a leur
vengeance: il s'etait reconcilie avec lui-meme dans le danger.
Enfin, un jour, le dixieme apres son arrestation, Orio fut tire de sa
cellule et conduit dans une salle basse du palais ducal, en presence des
examinateurs. Le premier mouvement d'Orio fut de chercher des yeux si Naam
etait presente. Elle n'y etait point. Orio espera.
Le docteur Barbolamo s'entretenait avec un des magistrats. Orio fut assez
surpris de le voir figurer dans cette affaire, et une vive inquietude
commenca a le troubler lorsqu'il vit qu'on le faisait asseoir, et qu'on
lui temoignait une grande deference comme si on attendait de lui
d'importants eclaircissements. Orio, habitue a mepriser les hommes, se
demanda avec effroi s'il avait ete assez genereux avec son medecin, s'il
ne l'avait pas quelquefois blesse par ses emportements; et il craignit de
ne l'avoir pas assez magnifiquement paye de ses soins. Mais, apres tout,
quel mal pouvait lui faire cet homme auquel il n'avait jamais ouvert son
ame?
L'interrogatoire proceda ainsi:
"Messer Pier Orio Soranzo, patricien et citoyen de Venise, officier
superieur dans les armees de la republique, et membre du grand conseil,
vous etes accuse de complicite dans l'assassinat commis le 16 juin 1686.
Qu'avez-vous a repondre pour votre defense?
--Que j'ignore les circonstances exactes et les details particuliers de
cet assassinat, repondit Orio, et que je ne comprends pas meme de quelle
espece de complicite je puis etre accuse.
--Persistez-vous dans la declaration que vous avez faite devant les
executeurs de votre arrestation?
--J'y persiste; je la maintiens entierement et absolument.
--Monsieur le docteur professeur Stefano Barbolamo, veuillez ecouter la
lecture de l'acte qui a ete dresse de votre declaration en date du meme
jour, et nous dire si vous la maintenez egalement."
Lecture fut faite de cet acte, dont voici la teneur:
"Le 16 juin 1686, vers deux heures du matin, Stefano Barbolamo rentrait
chez lui, ayant passe la nuit aupres de ses malades. De sa maison, situee
sur l'autre rive du canaletto qui baigne le palais Memmo, il vit
precisement en face de lui un homme qui courait et qui se baissa comme
pour se cacher de
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