'attention d'Argiria. Alors il se trouva face a face avec
Ezzelin. A son tour, il devint horriblement pale, et trembla un instant de
tous ses membres. Dans le premier moment, il avait cru voir le spectre qui
lui avait si souvent rendu de funebres visites; mais le bruit que faisait
Ezzelin en avancant, et le feu qui brillait dans ses yeux, lui prouverent
qu'il n'avait pas affaire a une ombre. Le danger, pour etre plus reel,
n'en etait que plus grand; mais Soranzo, que la vue d'un fantome aurait
fait tomber en syncope, se decida devant la realite a payer d'audace, et,
s'avancant vers Ezzelin d'un air affectueux et empresse:
"Cher ami! s'ecria-t-il; est-ce vous? vous que nous croyions avoir perdu
pour jamais!"
Et il etendit les bras comme pour l'embrasser.
Argiria etait tombee comme foudroyee aux pieds de son frere. Ezzelin la
releva et la tint serree contre son coeur; mais devant l'embrassement
d'Orio, il recula saisi de degout, et, etendant son bras droit vers la
porte, il lui fit signe de sortir. Orio feignit de ne pas comprendre.
"Sortez! dit Ezzelin d'une voix tremblante d'indignation, en jetant sur
lui un regard terrible.
--Sortir! moi! Et pourquoi?
--Vous le savez. Sortez, et vite.
--Et si je ne le veux pas? continua Orio en reprenant son audace
accoutumee.
--Ah! je saurai vous y contraindre, s'ecria Ezzelin avec un rire amer.
--Comment donc?
--En vous demasquant.
--On ne demasque que ceux qui se cachent. Qu'ai-je a cacher, seigneur
Ezzelin?
--Ne lassez pas ma patience. Je veux bien, non pas vous pardonner, mais
vous laisser aller. Partez donc, et souvenez-vous que je vous defends de
jamais chercher a voir ma soeur. Sinon, malheur a vous!
--Seigneur, si un autre que le frere d'Argiria m'avait tenu ce langage, il
l'aurait deja paye de son sang. A vous, je n'ai rien a dire, si ce n'est
que je n'ai d'ordres a recevoir de personne, et que je meprise les
menaces. Je sortirai d'ici, non a cause de vous qui n'etes pas le maitre,
mais a cause de votre respectable tante, dont je ne veux pas troubler le
repos par une scene de violence. Quant a votre soeur, je ne renoncerai
certainement pas a elle, parce que nous nous aimons, parce que je me crois
digne d'etre heureux par elle, et capable de la rendre heureuse.
--Oserez-vous soutenir toujours et partout ce que vous avancez ici?
--Oui, et de toutes les manieres.
--Alors venez ici demain avec votre oncle, le venerable Francesco Morosini;
et no
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