! Bonne Venise! s'ecria Orio; les beaux quais deserts
pour rencontrer un ennemi! Mais comment l'as-tu trouve a cette heure?
Qu'as-tu fait pour le joindre?
--J'ai pris mon luth et je suis allee en jouer sous la fenetre de sa soeur;
j'ai joue obstinement jusqu'a ce que le frere ait ete eveille et m'ait
regardee par la fenetre. Je me suis eloignee alors de quelques pas; mais
j'ai continue de jouer comme pour le braver. Il m'avait reconnue a mon
costume; c'est ce que je voulais. Il est sorti de sa maison, il s'est
approche de moi en me menacant. Je me suis eloignee encore, mais en
continuant toujours de jouer du luth, et je me suis encore arretee. Il est
encore venu sur moi, et je me suis eloignee de nouveau. Alors, comme il
s'en retournait vers sa maison, je me suis mise a courir du meme cote et a
jouer en me rapprochant toujours. La fureur lui est venue, et, croyant
sans doute que j'agissais ainsi par ton ordre, il a recommence a courir
sur moi l'epee a la main. Je me suis fait poursuivre ainsi jusqu'a cet
endroit ou le pave de la rive cesse tout a coup, et ou plusieurs marches
conduisent en tournant jusqu'au niveau de l'eau pour l'abordage des
gondoles. Il n'y avait la ni barque ni homme; pas le moindre bruit, pas la
moindre lumiere. Je me suis cramponnee fortement a la petite colonne qui
termine la rampe, et j'ai attendu en me baissant qu'il vint jusque-la. Il
y est venu, en effet; il s'est appuye presque sur moi sans me voir, et
s'est penche sur l'eau pour chercher des yeux si quelque gondole m'avait
mise a l'abri de sa colere. Dans ce moment-la, j'ai arrache d'une main son
manteau, de l'autre je l'ai frappe. Il a voulu se debattre, lutter...,
mais son pied avait glisse sur les marches humides; il perdait l'equilibre;
je l'ai pousse, et il a roule au fond de l'eau. Voila comme les choses se
sont passees."
La voix de Naam s'eteignit, et un frisson passa par tout son corps.
"Au _fond_, dit Soranzo d'un air inquiet, tu n'en es pas sure; tu as pris
la fuite?
--Je n'ai pas pris la fuite, dit Naam en se ranimant; je suis restee
penchee sur l'eau jusqu'a ce que l'eau fut redevenue aussi unie que la
surface d'un miroir. Alors j'ai arrache aux pierres humides de la rive une
poignee d'herbes marines, et j'ai lave et nettoye les marches couvertes de
sang. Il n'y avait personne, et il ne s'y est fait aucun bruit. Je suis
restee cachee dans l'angle d'un mur: j'ai entendu marcher. On venait du
palais Memmo. J'ai quitte doucem
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