ait que boire et tirer le mousquet.
Enfin, ils depasserent le faubourg et apercurent plusieurs huttes
eparses, couvertes de gazon ou de feutre, a la mode tatare. Devant
quelques-unes, des canons etaient en batterie. On ne voyait aucune
cloture, aucune maisonnette avec son perron a colonnes de bois,
comme il y en avait dans le faubourg. Un petit parapet en terre et
une barriere que personne ne gardait, temoignaient de la
prodigieuse insouciance des habitants. Quelques robustes
Zaporogues, couches sur le chemin, leurs pipes a la bouche, les
regarderent passer avec indifference et sans remuer de place.
Tarass et ses fils passerent au milieu d'eux avec precaution, en
leur disant:
-- Bonjour, seigneurs!
-- Et vous, bonjour, repondaient-ils.
On rencontrait partout des groupes pittoresques. Les visages hales
de ces hommes montraient qu'ils avaient souvent pris part aux
batailles, et eprouve toutes sortes de vicissitudes. Voila la
_setch_; voila le repaire d'ou s'elancent tant d'hommes fiers et
forts comme des lions; voila d'ou sort la puissance cosaque pour
se repandre sur toute l'Ukraine. Les voyageurs traverserent une
place spacieuse ou s'assemblait habituellement le conseil. Sur un
grand tonneau renverse, etait assis un Zaporogue sans chemise; il
la tenait a la main, et en raccommodait gravement les trous. Le
chemin leur fut de nouveau barre par une troupe entiere de
musiciens, au milieu desquels un jeune Zaporogue, qui avait plante
son bonnet sur l'oreille, dansait avec frenesie, en elevant les
mains par-dessus sa tete. Il ne cessait de crier:
-- Vite, vite, musiciens, plus vite. Thomas, n'epargne pas ton
eau-de-vie aux vrais chretiens.
Et Thomas, qui avait l'oeil poche, distribuait de grandes cruches
aux assistants. Autour du jeune danseur, quatre vieux Zaporogues
trepignaient sur place, puis tout a coup se jetaient de cote,
comme un tourbillon, jusque sur la tete des musiciens, puis,
pliant les jambes, se baissaient jusqu'a terre, et, se redressant
aussitot, frappaient la terre de leurs talons d'argent. Le sol
retentissait sourdement a l'entour, et l'air etait rempli des
bruits cadences du _hoppak_ et du _tropak_[18]. Parmi tous ces
Cosaques, il s'en trouvait un qui criait et qui dansait avec le
plus de fougue. Sa touffe de cheveux volait a tous vents, sa large
poitrine etait decouverte, mais il avait passe dans les bras sa
pelisse d'hiver, et la sueur ruisselait sur son visage.
-- Mais ote donc ta peli
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