detache
en bleu sur l'horizon. Plus la troupe s'approchait, plus le fleuve
s'elargissait en roulant ses froides ondes; et bientot il finit
par embrasser la moitie de la terre qui se deroulait devant eux.
Ils etaient arrives a cet endroit de son cours ou le Dniepr,
longtemps resserre par les bancs de granit, acheve de triompher de
tous les obstacles, et bruit comme une mer, en couvrant les
plaines conquises, ou les iles dispersees au milieu de son lit
refoulent ses flots encore plus loin sur les campagnes d'alentour.
Les Cosaques descendirent de cheval, entrerent dans un bac, et
apres une traversee de trois heures, arriverent a l'ile Hortiza,
ou se trouvait alors la _setch_, qui changea si souvent de
residence. Une foule de gens se querellaient sur le bord avec les
mariniers. Les Cosaques se remirent en selle; Tarass prit une
attitude fiere, serra son ceinturon, et fit glisser sa moustache
entre ses doigts. Ses jeunes fils s'examinerent aussi de la tete
aux pieds avec une emotion timide, et tous ensemble entrerent dans
le faubourg qui precedait la _setch_ d'une demi-verste. A leur
entree, ils furent assourdis par le fracas de cinquante marteaux
qui frappaient l'enclume dans vingt-cinq forges souterraines et
couvertes de gazon. De vigoureux corroyeurs, assis sur leurs
perrons, pressuraient des peaux de boeufs dans leurs fortes mains.
Des marchands colporteurs se tenaient sous leurs tentes avec des
tas de briquets, de pierres a feu, et de poudre a canon. Un
Armenien etalait de riches pieces d'etoffe; un Tatar petrissait de
la pate; un juif, la tete baissee, tirait de l'eau-de-vie d'un
tonneau. Mais ce qui attira le plus leur attention, ce fut un
Zaporogue qui dormait au beau milieu de la route, bras et jambes
etendus. Tarass s'arreta, plein d'admiration:
-- Comme ce drole s'est developpe, dit-il en l'examinant. Quel
beau corps d'homme!
En effet, le tableau etait acheve. Le Zaporogue s'etait etendu en
travers de la route comme un lion couche. Sa touffe de cheveux,
fierement rejetee en arriere, couvrait deux palmes de terrain a
l'entour de sa tete. Ses pantalons de beau drap rouge avaient ete
salis de goudron, pour montrer le peu de cas qu'il en faisait.
Apres l'avoir admire tout a son aise Boulba continua son chemin
par une rue etroite, toute remplie de metiers faits en plein vent,
et de gens de toutes nations qui peuplaient ce faubourg, semblable
a une foire, par lequel etait nourrie et vetue la _setch_, qui ne
sav
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