licates attentions ne se retrouvent pas
entre gens qui ont des reproches serieux a se faire. Il y a entre eux
des differences de gouts et d'opinions, cela est certain; mais, si c'est
la un malheur reel dans la vie conjugale, il y a aussi dans les motifs
serieux d'affection reciproque des compensations suffisantes. Ceux qui
accusent mon frere de froideur sont injustes et mal informes; ceux qui
accusent sa femme d'ingratitude ou de legerete sont des mechants ou des
imbeciles.
Quelle que put etre l'ingenuite optimiste de Paule, ses paroles me
firent une vive impression. Je me sentis partage entre une violente
jalousie naissante contre cet epoux si parfait, si respecte, et une
sorte de blame amer contre la femme qui cherchait ailleurs attachement
et protection. Ce furent les premieres atteintes du mal implacable qui
devait me torturer plus tard. Quand je revis Alida, sa figure alteree
sembla confirmer les assertions de sa belle-soeur; elle avait ete
bouleversee et semblait attendre avec impatience le retour de son mari.
J'en pris une humeur feroce, et, comme le temps s'etait adouci et que
nous nous promenions au bord du torrent, Paule s'eloignant souvent avec
le guide pour chercher des plantes et satisfaire son ardeur de
locomotion, je pressai madame de Valvedre de questions aigres et de
reflexions desesperees. Elle se vit alors entrainee et comme forcee a me
parler de son mari, de son interieur, et a me raconter sa vie.
--J'ai passionnement aime M. de Valvedre, dit-elle. C'est la seule
passion de ma vie. Paule vous a dit qu'il etait parfait: eh bien, oui,
elle a raison, il est parfait. Il n'a qu'un defaut, il n'aime pas. Il ne
peut, ni ne sait, ni ne veut aimer. Il est superieur aux passions, aux
souffrances, aux orages de la vie. Moi, je suis une femme, une vraie
femme, faible, ignorante, sans valeur aucune. Je ne sais qu'aimer. Il
fallait me tenir compte de cela et ne pas me demander autre chose. Ne le
savait-il pas, lorsqu'il m'epousa, que je n'avais ni connaissances
serieuses, ni talents distingues? Je n'avais pas voulu me farder, et
c'eut ete bien en vain que je l'eusse tente avec un homme qui sait tout.
Je lui plus, il me trouva belle, il voulut etre mon mari afin de pouvoir
etre mon amant. Voila tout le mystere de ces grandes affections
auxquelles une jeune fille sans experience est condamnee a se laisser
prendre. Certes, l'homme qui la trompe ainsi n'est pas coupable de
dissimulation. Aveugle, il se trompe lui-m
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