tendresse et de beatitude,
sans pressentir le destin qui pesait sur elle et qui peut-etre la
faisait veuve en cet instant-la! Je me sentais alors baigne d'une sueur
froide, j'avais envie de m'elancer dans la nuit pour courir a la
recherche d'Obernay; il y avait des moments ou, en songeant que je
trompais Valvedre, un agonisant peut-etre, un martyr de la science, je
me sentais lache et me faisais l'effet d'un assassin.
Enfin je recus une lettre d'Obernay.
"Tout va bien, me disait-il. Je n'ai pu encore rejoindre Valvedre; mais
je sais qu'il est a B***, a six lieues de moi, et qu'il est en bonne
sante. Je me repose quelques heures et je cours aupres de lui. J'espere
le decider a s'en tenir la et le ramener a Saint-Pierre, car la
tourmente a envahi les hautes neiges, et les dangers qu'il a courus pour
en sortir seraient aujourd'hui insurmontables. Tu peux maintenant dire
la verite a ces dames et les exhorter a la patience. Dans deux ou trois
jours, nous serons tous reunis."
En apprenant que Valvedre avait ete en grand peril, en devinant, a
travers le silence d'Obernay sur son propre compte, que lui-meme avait
du courir des dangers serieux, Paule, a qui je fis part de la lettre,
eut un tremblement nerveux assez violent et me serra la main en silence.
--Courage, lui dis-je, ils sont sauves! La fiancee d'un savant doit etre
une femme forte et s'habituer a souffrir.
--Vous avez raison, repondit la brave enfant en essuyant de grosses
larmes qui vinrent a propos la soulager; oui, oui, il faut du courage:
j'en aurai! Songeons a ma belle-soeur: que lui dirons-nous? Elle n'est
pas forte; depuis quelques jours surtout, elle est tres-nerveuse et
tres-agitee. Elle ne dort pas. Laissez-moi la lettre, je ne la lui
montrerai qu'apres l'avoir convenablement avertie.
--Elle est donc bien attachee a son mari? m'ecriai-je etourdiment.
--En doutez-vous? reprit Paule etonnee de mon exclamation.
--Non certes; mais...
--Mais si, vous en doutez! Ah! vous n'avez pas traverse Geneve sans
entendre quelque calomnie sur le compte de la pauvre Alida! Eh bien,
repoussez tout cela de votre pensee. Alida est bonne, elle a du coeur. A
beaucoup d'egards, c'est une enfant; mais elle est juste, et elle sait
apprecier le meilleur des hommes. Il est si bon pour elle! Si vous les
aviez vus un instant ensemble, vous sauriez tout de suite a quoi vous en
tenir sur leur pretendue desunion. Tant d'egards mutuels, tant de
deferences exquises et de de
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