le en sortant du college, il avait fait un voyage d'etudes en
Allemagne, en Autriche, en Russie, et alors on avait dit, a Elbeuf,
qu'une femme galante l'accompagnait; un acheteur en laines les avait
rencontres dans des casinos, ou Adeline jouait gros jeu.
--Un Adeline! Etait-ce possible? Un garcon si sage! La "femme galante",
on la lui pardonnait; il faut bien que jeunesse se passe. Mais les
casinos?
Epouvante, le pere avait couru en Allemagne, ne s'en rapportant a
personne pour sauver son fils. Celui-ci n'avait fait aucune resistance,
et, soumis, repentant, il etait revenu a Elbeuf: il s'etait laisse
entrainer; comment? il ne le comprenait pas, n'aimant pas le jeu; mais
humilie d'avoir perdu son argent, il avait voulu le rattraper.
On l'avait alors marie.
Et depuis cette epoque, il avait ete, comme ses amis le disaient en
plaisantant, l'exemple des maris, des fabricants, des juges au tribunal
de Commerce, des conseillers generaux, des jures d'exposition et et des
deputes.
--Voyez Adeline!
Que lui manquait-il pour etre l'homme le plus heureux du monde?
N'avait-il pas tout,--l'estime, la consideration, les honneurs, la
fortune?--et une honnete fortune, loyalement acquise si elle n'etait pas
considerable.
II
C'etait dans le gros public qu'on parlait de la fortune des Adeline, la
ou l'on s'en tient aux apparences et ou l'on repete consciencieusement
les phrases toutes faites sans s'inquieter de ce qu'elles valent; il y
avait cent cinquante ans que cette fortune etait monnaie courante de la
conversation a Elbeuf, on continuait a s'en servir.
Mais, parmi ceux qui savent et qui vont au fond des choses, cette
croyance a une fortune, solide et inebranlable, commencait a etre
amoindrie.
A sa mort, le pere de Constant Adeline avait laisse deux fils: Constant,
l'aine, chef de la maison d'Elbeuf, et Jean, le cadet, qui, au lieu de
s'associer avec son frere, avait fonde a Paris une importante maison de
laines en gros, si importante qu'elle avait des comptoirs de vente
au Havre et a Roubaix, d'achat a Buenos-Ayres, a Moscou, a Odessa, a
Saratoff. Celui-la n'avait que le nom des Adeline; en realite, c'etait
un ambitieux et un aventureux; la fortune gagnee dans le commerce petit
a petit lui paraissait miserable, il lui fallait celle que donne en
quelques coups hardis la speculation. S'il avait vecu, peut-etre
l'eut-il realisee. Mais, surpris par la mort, il avait laisse de
grosses, de tres grosses affaires eng
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