est ebranle qu'il faut de la prudence; et ce ne serait point etre
prudent que de nous exposer a donner un aliment aux bavardages du monde.
N'entends-tu pas ce qu'on ne manquerait pas de dire: "Pourquoi Michel
Debs n'a-t-il pas epouse Berthe Adeline?--Parce qu'il n'a pas voulu
d'une fille ruinee." Parler couramment de la ruine d'une maison dont les
affaires sont embarrassees, c'est la precipiter. Voila pourquoi, avant
de repondre a M. Eck, j'ai voulu t'interroger et te demander de me
dire franchement si tu desires ce mariage. Tu comprends que s'il t'est
indifferent et que si tu ne vois en Michel Debs qu'un mari comme un
autre, auquel tu n'as pas de raisons particulieres pour tenir, il est
sage de repondre par un refus: nous echappons ainsi a une lutte avec ta
grand'mere; et d'autre part nous evitons les dangers du mariage manque.
Au contraire, si Michel te plait, si tu vois en lui le mari qui doit
assurer le bonheur de ta vie, il ne s'agit plus de se derober, il faut
aborder la situation en face, si perilleuse qu'elle puisse etre pour toi
comme pour nous, affronter le mecontentement de ta grand'mere, et courir
aussi l'aventure d'un refus de Michel Debs ne trouvant pas la dot sur
laquelle il comptait... peut-etre.
--Qui dit que M. Debs est un homme d'argent?
--Ce n'est pas moi; mais tu conviendras qu'il est possible qu'il le
soit; si tu as des raisons pour croire qu'il ne l'est pas, dis-les; tu
vois que, par la force meme des choses, nous voila ramenes au point d'ou
nous sommes partis et que tu es obligee de repondre franchement, puisque
ce sont tes sentiments qui dicteront notre conduite.
Et oui, sans doute, elle voyait que la force des choses les avait
ramenes au point d'ou ils etaient partis, mais la situation n'etait
plus du tout la meme pour elle, agrandie qu'elle etait, rendue plus
solennelle par les paroles de son pere: si un sentiment de retenue
feminine et de pudeur filiale lui avait ferme les levres, maintenant
elle devait les ouvrir loyalement et sans reticences; elle le devait
pour son pere, elle le devait pour elle-meme.
--Certainement, dit-elle, il ne s'est jamais rien passe entre M. Debs et
moi qui ressemble meme de tres loin a ce que j'ai lu dans les livres;
il ne m'a pas sauve la vie au bord du gave ecumeux pendant notre voyage
dans les Pyrenees, ou il ne nous accompagnait pas d'ailleurs; il n'est
jamais venu non plus soupirer sous mon balcon, puisque nous n'avons pas
de balcon; il ne m'a pas fait
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