t enlever a cet entretien la violence passionnee
que sa mere y mettait, il prit un ton enjoue:
--Si les choses marchent du meme pas, il est facile de prevoir qu'avant
peu ce sera le chretien qui sera l'esclave du juif: lis le compte rendu
des premieres representations: en tete des personnes citees, ce sont des
juifs que tu trouveras.
Mais au lieu de calmer sa mere, il l'exaspera.
--Je suis bien vieille, dit-elle, je suis paralysee, je n'ai plus
d'initiative, je n'ai plus d'autorite, je n'ai plus la fortune qui la
fait respecter, je ne suis plus rien, mais au moins je suis encore ta
mere et jamais je ne te permettrai de plaisanter ma foi. Ah! Constant,
la Chambre t'a perdu! A vivre avec ces avocats et ces journalistes
habitues a discuter le pour et le contre et a trouver qu'il y a autant
de bonnes raisons pour une opinion que pour une autre, tu es devenu ce
qu'ils sont eux-memes, un incredule; tu ne sais plus ce qui est bien, tu
ne sais plus ce qui est mal; vous appelez cela de la tolerance; il n'y a
pas de tolerance pour le mal, il doit etre ecrase.
Elle avait toujours a cote d'elle une forte canne avec laquelle elle
faisait avancer ou reculer son fauteuil, quand elle ne voulait point
appeler pour qu'on le roulat; elle la prit, et, d'une main encore
vigoureuse, elle frappa le parquet avec une energie qui disait celle de
sa volonte.
--Il doit etre ecrase.
Et de plusieurs coups de canne elle sembla vouloir ecraser un etre
vivant, le pere Eck, sans doute, ou son neveu, plutot qu'une chose
ideale--ce mal qui l'enflammait.
Adeline aimait sa vieille mere autant qu'il la respectait; aussi,
lorsqu'elle abordait la question religieuse, tachait-il toujours,
lorsqu'il ne pouvait pas ceder, de laisser tomber la conversation ou de
la detourner. A quoi bon discuter? il savait qu'il ne lui ferait rien
abandonner de ses idees; et d'autre part, il ne voulait pas prendre des
engagements qu'il ne tiendrait pas. Mais en ce moment ce n'etait pas
une discussion plus ou moins theorique qui etait soulevee, c'etait une
affaire personnelle, qui pouvait etre la plus grave pour sa fille--celle
de sa vie meme.
--Je t'en prie, Maman, dit-il avec douceur, ne te laisse pas emporter
par ton premier mouvement; avant de juger la demande de M. Eck
injurieuse, sachons dans quelles conditions elle se presente.
--Toujours les conditions, les circonstances attenuantes.
Sans repondre a sa mere, il s'adressa a sa femme:
--Hortense, dis-
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