llage:
pour une production de trois millions par an, il faut cent vingt metiers
prets a battre et a remplir les ordres; chaque metier coutant deux mille
cinq cents francs, c'est un ensemble de trois cent mille francs; avec
l'immeuble, la machine a vapeur et les outils accessoires, il faut
compter deux cent mille francs; bien entendu, je laisse de cote la
teinture et la filature qui doivent s'executer au dehors avec avantage,
mais j'ajoute l'outillage pour le degraissage, le foulage et les
apprets, qui ne coute pas moins de deux cent mille francs, et j'arrive
ainsi a un chiffre de sept cent mille francs; je ne les avais pas.
Cela fut dit en glissant et a voix basse, de facon a ne pas l'appliquer
directement a la Maman, et tout de suite, pour ne pas laisser le temps a
la reflexion de se produire, il reprit:
--Enfin une derniere raison, qui, pour etre d'un ordre different, n'a
pas ete moins forte pour moi, m'a arrete. Ce qu'il y a de bon dans notre
travail elbeuvien, que tu as bien raison d'aimer, Maman, c'est qu'il
s'execute en grande partie chez l'ouvrier qui n'est pas a la _sonnette_,
comme on le dit si justement, qui est chez lui, dans sa maison, a
la ville ou a la campagne, avec sa femme et ses enfants auxquels il
enseigne son metier par l'exemple. L'individualite existe et avec
elle l'esprit de famille. Au contraire, dans l'usine l'individualite
disparait comme disparait la famille; l'ouvrier perd meme son nom pour
devenir un numero; il faut quitter le village pour la ville ou le mari
est separe de sa femme, ou les enfants le sont du pere et de la mere;
plus de table commune autour de la soupe preparee par la mere, on va
forcement au cabaret pour manger, on y retourne pour boire. Je n'ai
pas eu le courage d'assumer la responsabilite de cette transformation
sociale. Je sais bien que, pour la terre comme pour l'industrie, tout
nous amene a creer une nouvelle feodalite. Mais, pour moi, je n'ai pas
voulu mettre la main a cette oeuvre. Justement parce que je suis un
Adeline et que deux cents annees de vie commune avec l'ouvrier m'ont
impose certains devoirs, j'ai recule. Sans doute d'autres feront--et
prochainement--ce que je n'ai pas voulu faire, mais je ne serai pas
de ceux-la, et cela suffit a ma conscience. Je n'ai pas la pretention
d'arreter la marche de la fatalite. Voila pourquoi, revenant a notre
point de depart, je trouve que la demande de M. Eck ne doit pas etre
accueillie par un brutal refus. Ma tache est fi
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