une fille pour ses beaux yeux? Nous
pouvons donc en etre pour la honte de notre confession, et Berthe pour
l'humiliation d'un mariage manque. Est-il sage de nous exposer a un
pareil echec qui, se realisant, aurait des consequences desastreuses,
non seulement pour Berthe, mais encore pour notre credit. Reflechis a
cela.
Ces derniers mots etaient inutiles. A mesure que sa femme parlait et
deduisait les raisons qui s'opposaient a ce mariage, Adeline, qui tout
d'abord l'avait ecoutee en la regardant, se penchait vers le feu,
absorbe manifestement dans une meditation douloureuse.
--Tant d'annees de travail, murmura-t-il, tant d'efforts, tant de
luttes, de ta part tant de soins, tant de fatigues, tant d'energie, pour
en arriver la! Pauvre Berthe! Que ne t'ai-je ecoute quand il en etait
temps encore!
Elle le regarda, tristement penche sur le feu qui eclairait sa tete
grisonnante. Quels changements s'etaient faits en lui en ces derniers
temps! Comme il avait vieilli vite, lui qui jusqu'a quarante ans etait
reste si jeune! Comme sur son visage au teint colore les rides s'etaient
profondement incrustees; ses yeux, autrefois doux et le plus souvent
egayes par le sourire, avaient pris une expression de tristesse ou
d'inquietude.
--Si encore, dit-il en suivant sa pensee et en se parlant plus encore
qu'il ne parlait a sa femme, on pouvait entrevoir quand cela finira et
comment! J'ai ete bien imprudent, bien coupable de ne pas t'ecouter.
Madame Adeline n'etait pas de ces femmes qui mettent la main sur la tete
de leur mari lorsqu'il va se noyer: s'il s'attristait, elle l'egayait;
s'il se decourageait, elle le reconfortait; de meme que s'il
s'emballait, elle l'enrayait.
--Je n'etais sensible qu'a l'interet immediat, dit-elle, mais crois bien
que j'ai compris toute la force des raisons qui t'ont retenu. A trente
ans, ayant sa position a faire, on pouvait courir cette aventure, mais a
ton age et dans ta situation il etait sage et naturel de ne pas oser la
risquer. Ce n'est pas moi qui jamais te reprocherai de t'etre abstenu.
--Tes reproches seraient moins durs que ceux que je m'adresse moi-meme,
car tu n'as vu que les raisons avouables qui m'ont retenu et tu ne sais
pas, toi qui cependant me connais si bien, celles que j'appelais a mon
aide quand je me sentais pret a te ceder. Un jour, il y a trois ans,
c'est-a-dire a un moment ou nous avions encore les moyens de transformer
notre fabrication, j'etais decide. J'avais tout
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