tante; le
malheur l'avait rendue soupconneuse.
Charlotte persista dans la route qu'elle s'etait tracee avec la
perseverance, l'adresse et la penetration qui faisaient la base
fondamentale de son caractere. A peine etait-elle parvenue a faire
rentrer ses penchants dans les bornes etroites du devoir, qu'elle
soumit sa vie exterieure et toute sa maison a la meme reforme. Au
milieu du calme monotone et de la paix reguliere qui regnaient autour
d'elle, elle s'applaudit des incidents qui avaient si violemment
trouble son interieur, puisqu'ils avaient mis un terme a des travaux
et a des projets d'embellissement devenus si vastes qu'ils menacaient
de compromettre sa fortune et celle de son mari. Trop sage pour
arreter ce qu'il etait indispensable d'achever, elle suspendit les
travaux au point ou ils pouvaient, sans danger, attendre le retour
du maitre; car elle voulait laisser a son mari le plaisir de mener
paisiblement a fin ce qui avait ete entrepris dans un etat d'agitation
fievreuse. L'architecte comprit ses intentions et les seconda avec
autant de sagesse que de reserve.
Deja les trois etangs ne formaient plus qu'un lac, dont on
embellissait les bords par des plantations utiles, au milieu
desquelles on pouvait, plus tard, placer facilement des points de
repos, des pavillons et des retraites pittoresques. La maison d'ete
etait finie autant qu'elle avait besoin de l'etre pour braver la
rigueur des saisons, et le soin de la decorer fut remis a une autre
epoque.
Satisfaite d'elle-meme, Charlotte etait reellement heureuse et
tranquille. Ottilie s'efforca de le paraitre; mais, au fond de son ame
elle ne prenait part a ce qui se passait autour d'elle, que pour y
chercher un presage du prochain retour d'Edouard. Aussi vit-elle avec
un vif plaisir qu'on venait d'executer une mesure dont elle l'avait
souvent entendu parler comme d'un projet favori.
Ce projet consistait a reunir les petits garcons du village pendant
les longues soirees d'ete, pour leur faire nettoyer les plantations et
les promenades nouvelles. Peu de semaines avaient suffi a Charlotte
pour les faire habiller tous d'une espece d'uniforme qui restait
depose au chateau, car ils ne devaient s'en servir que pendant les
heures de travail. L'architecte, qui les guidait avec une rare
intelligence, ne tarda pas a donner a l'ensemble de cette petite
troupe quelque chose de regulier et de gracieux. Rien, en effet,
n'etait plus agreable a voir que ces enfants. Les uns
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