jours avec tant de douceur et de bonte! comment
ferait-il pour me dire une parole dure, ou meme froide? Mais il prend
du chagrin et me fait de doux reproches; alors je pleure de remords,
d'attendrissement et de reconnaissance, et je me couche fatiguee,
brisee, me promettant bien de ne plus recommencer; car, au bout du
compte, cela fait du mal, et ce sont autant de jours que je retranche
de mon bonheur. J'ai certainement des idees folles, mais je ne sais pas
s'il es possible d'aimer sans les avoir. Par exemple, je me tourmente
continuellement de la crainte de n'etre pas assez aimee, et je n'ose pas
dire a Jacques que c'est a la cause de toutes mes agitations. Je crois
bien qu'il a des jours de souffrance physique; mais il est certain que
son esprit n'est pas toujours paisible. Certaines lectures l'agitent;
certaines circonstances, indifferentes en apparence, semblent lui
retracer des souvenirs penibles. Je m'en inquieterais moins s'il me les
confiait; mais il est silencieux comme la tombe et me traite comme une
personne tout a fait a part de lui. L'autre jour je me mis a chanter une
vieille romance qui me tomba, je ne sais comment, sous la main; Jacques
etait etendu sur le grand canape du salon, et il fumait dans une grande
pipe turque a laquelle il tient beaucoup. Des que j'eus chante les
premieres mesures, il frappa le parquet avec cette pipe, comme saisi
d'une emotion convulsive, et la brisa. "Ah! mon Dieu, qu'as-tu fait?
m'ecriai-je; tu as casse ta chere pipe d'Alexandrie.--C'est possible,
dit-il, je ne m'en suis pas apercu. Remets-toi a chanter.--Mais je
n'ose pas trop, repris-je; il faut que j'aie fait quelque fausse note
epouvantable tout a l'heure; car tu as bondi comme un desespere.--Non
pas que je sache, repondit-il; continue, je t'en prie." Je ne sais
comment il se fait que je suis toujours a l'affut des impressions que
Jacques cherche a me dissimuler; il y a un secret instinct qui m'abuse
ou qui m'eclaire, je ne sais lequel des deux, mais qui me force a
reporter tout ce qu'il fait et tout ce qu'il dit vers une cause funeste
a mon bonheur. Je m'imaginai qu'il avait entendu chanter cette romance
par quelque maitresse dont le souvenir lui etait encore cher, et je
ressentis tout a coup une jalousie absurde; je la jetai de cote, et me
mis a en chanter une autre. Jacques l'ecouta sans l'interrompre, puis il
me redemanda la premiere, en disant qu'il la connaissait et qu'elle lui
plaisait beaucoup. Ces paroles, qui sem
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