il fut seul,
il prit tous les sequins etales sur la table, et les poussa du pied sous
un tapis pour ne pas les voir. La vue de l'or lui causait effectivement
une repugnance physique qui allait chaque jour en augmentant, et qui etait
bien en lui le symptome d'une de ces affreuses maladies de l'ame qui
arrivent a se materialiser dans leurs effets. La vue de l'or monnaye
n'etait pas la seule antipathie qui se fut developpee en lui; il ne
pouvait voir briller l'acier d'une arme quelconque, ou seulement les
joyaux d'une femme, sans se retracer, pour ainsi dire oculairement, les
atrocites de sa vie d'uscoque. Il cachait ses souffrances, et meme il les
etouffait completement quand la necessite d'agir echauffait son sang
appauvri. Il venait de faire, avec Morosini, une nouvelle campagne, cette
glorieuse expedition ou les navires de Venise planterent leur banniere
triomphante dans le Piree. Orio, sentant que toute la consideration future
de sa vie dependait de sa conduite en cette circonstance, avait encore
fait la des prodiges de valeur; il avait completement lave la tache du
gouvernement de San-Silvio, et il avait contraint toute l'armee a dire de
lui que, s'il etait un mauvais administrateur, il etait, a coup sur, un
vaillant capitaine et un rude soldat.
Apres ce dernier effort, Orio, couronne de succes dans toutes ses
entreprises, glorifie de tous, traite comme un fils par l'amiral, delivre
de tous ses ennemis, et riche au dela de ses esperances, etait rentre dans
sa patrie, resolu a n'en plus sortir et a y savourer le fruit de ses
terribles oeuvres. Mais la divine justice l'attendait a ce point pour le
chatier, en lui otant toute l'energie de son caractere. Au faite de sa
prosperite impie, il etait retombe sur lui-meme avec accablement, et, a la
veille de vivre selon ses reves, l'agonie s'etait emparee de lui. Il avait
accompli tout ce que comportaient l'audace et la mechancete de son
organisation; il se disait a lui-meme qu'il etait un homme fini, et
qu'ayant reussi dans des entreprises insensees, il n'avait plus qu'a voir
decliner son etoile. C'en etait fait; il ne jouissait de rien. Cette
puissance de l'argent, cette vie de desordre illimite, cette absence de
soins qu'il avait revees, cette superiorite de magnificence et de
prodigalite sur tous ses pairs, toutes ces vanites honteuses et impudentes,
auxquelles il avait immole une hecatombe a rassasier tout l'enfer, lui
apparurent dans toute leur misere; et, du moment qu'i
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