r, a demi replie, comme s'il eut voulu retenir les flots qui la
baignaient. L'ouverture de la baie, elle-meme, etait visible jusqu'a
son milieu, mais, a part ce petit triangle d'azur miroitant au sein des
masses sombres qui l'enserraient, ce n'etaient, jusqu'a perte de vue,
que le chaos mouvemente de la cote labradorienne s'abaissant avec
gradation vers le golfe, dont la surface scintillante se confondait avec
l'horizon, dans les lointains du couchant.
Tout homme, en presence d'un pareil spectacle, est poete d'instinct;
et les jeunes Labarou, sans connaitre un traitre mot des regles de
la poesie, ne purent s'empecher de faire entendre des exclamations
admiratives:
--La belle vue qu'on a d'ici! s'ecria Arthur.
--Hum! grommela Gaspard: c'est rudement chiffonne!
--Vois donc.... notre fameuse baie Kecarpoui, ce qu'elle est devenue; a
peine grande comme le foc de la barque!
--Nous en sommes loin!... repliqua Gaspard, que cette reflexion de son
cousin arracha aussitot a sa contemplation. Au fait, ajouta-t-il, il est
temps de regagner la mer. Filons.
--C'est vrai... Ces diables de caribous vont nous faire perdra une
maree, et nous ne serons pas chez nous avant ce soir.
--A la cote, et courons!
Et Gaspard, prenant les devants, s'engagea aussitot sur la pente du
monticule qui leur avait servi d'observation, devalant comme un cerf qui
aurait eu toute une meute sur les jarrets.
Arthur ne fut pas lent a le suivre; et tous deux, prenant la savane en
diagonale pour "piquer au plus court", firent ainsi un bon demi-mille,
ne s'arretant qu'au pied d'une colline peu elevee, qui leur barrait la
route.
La, ils firent halte un moment pour souffler, puis reprirent aussitot
leur marche en avant.
Arrives sur le dos de cette intumescence, absolument depourvue de
vegetation, ils s'orienterent un instant et allaient redescendre le
versant oppose, lorsqu'un coup de fusil, tire de fort pres, les cloua
net sur place.
[Illustration: Puis l'ours bondit sur le sauvage et l'ecrasa.]
Avant meme d'avoir eu l'opportunite d'echanger une parole, ils
entendirent un hurlement de douleur et virent, a une couple d'arpents en
face d'eux, un ours blesse qui traversait la savane, par bonds inegaux,
et qui finit par se laisser choir au pied d'une souche, ou il demeura
immobile.
D'ou portait co coup de fusil?....
Qui avait tire?....
Les Labarou eurent a peine le temps de se poser ces questions, qu'elles
etaient resolues.
Un
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