Eh bien, apprenez, ma pauvre amie, que ce Jean Labarou dont le fila
courtise votre fille Suzanne n'est autre que Jean Lahoulier, qui tua
votre mari, par pure rancune, dans l'auberge des Mathurins Sales,
sur le port de Saint-Pierre, il y aujourd'hui douze ans et quelques
semaines...
Mon devoir est fait. Que Dieu vous donne la force de ne pas faillir
au votre,
ROBERT QUETLIVEN.
--Cette lettre est une infamie! s'ecria Jean Labarou,--a qui nous
conserverons ce nom, comme lui le porta toujours, du reste.
--Quoi! ne dit-elle pas la verite? riposta la veuve.
--Sur ce point seulement: que c'est bien ma main qui a tue Pierre Noel!
Mais c'est dans le cas de legitime defense, apres avoir use de tous les
moyens de persuasion pour l'apaiser, apres avoir subi patiemment toutes
sortes d'injures.... Encore, quoique abime par sa langue mechante,
j'aurais patiente, je serais sorti, sans ce traitre coup de couteau qui
me fit voir rouge.... Mon bras a frappe, mais ma volonte n'y etait pour
rien. C'est la douleur physique, produite par l'horrible blessure recue
sans m'y attendre, qui est cause du malheur arrive.... Voyez, femme!....
J'en porterai les marques toute ma vie!
Et, retroussant la manche de son habit, Labarou montra a la veuve son
avant-bras nu ou deux cicatrices indelebiles tranchaient, par leur
blancheur livide, sur le ton bruni de la peau.
La veuve ouvrit de grands yeux et fit un geste.
Jean Labarou rabattit sa manche et continua:
--Ah! Yvonne, comme j'ai regrette ce fatal moment d'oubli, ce mouvement
involontaire qui poussa ma main armee droit au coeur de mon ami, Yvonne,
vous le savez, en depit de ses defauts!--Mais il est des instants, dans
la vie humaine, ou la chair se revolte contre l'esprit, ou le nerf est
plus prompt que la volonte.
J'ai subi les consequences de ce reveil intermittent de la bete dans
l'homme....
Suis-je donc si coupable, apres tout?
La veuve ne repondit pas, tout d'abord.
Elle se calmait. Elle paraissait ebranlee.
L'homme qui lui parlait, elle l'avait connu jadis. Jeune et bon, plein
d'honneur, incapable de deguiser la verite.
Les annees en blanchissant sa tete en avaient-elles fait un menteur et
un lache?
C'etait impossible.
Le mensonge, dans la bouche d'un coupable, n'a pas de ces accents emus
qui vont au coeur; la parole, non appuyee d'une conviction chaleureuse,
ne saurait arriver au plus intime de l'etre, comme la voix do Je
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