uisson, tailleur, etc.
--Il a sans doute arrange toutes ses affaires pour pouvoir bientot
quitter la France, pensa-t-elle. Ses yeux tomberent sur deux lettres
ouvertes. Ces mots qui en commencaient une: "Ma chere Annette ..."lui
causerent un eblouissement. Son coeur palpita, ses pieds se clouerent sur
le carreau. Sa chere Annette, il aime, il est aime! Plus d'espoir! Que
lui dit-il? Ces idees lui traverserent la tete et le coeur. Elle lisait
ces mots partout, meme sur les carreaux, en traits de flammes.
--Deja renoncer a lui! Non, je ne lirai pas cette lettre. Je dois m'en
aller. Si je la lisais, cependant? Elle regarda Charles, lui prit
doucement la tete, la posa sur le dos du fauteuil, et il se laissa faire
comme un enfant qui, meme en dormant, connait encore sa mere et recoit,
sans s'eveiller, ses soins et ses baisers. Comme une mere, Eugenie
releva la main pendante, et, comme une mere, elle baisa doucement les
cheveux. Chere Annette! Un demon lui criait ces deux mots aux oreilles.
--Je sais que je fais peut-etre mal, mais je lirai la lettre, dit-elle.
Eugenie detourna la tete, car sa noble probite gronda. Pour la premiere
fois de sa vie, le bien et le mal etaient en presence dans son coeur.
Jusque-la elle n'avait eu a rougir d'aucune action. La passion, la
curiosite l'emporterent. A chaque phrase, son coeur se gonfla davantage,
et l'ardeur piquante qui anima sa vie pendant cette lecture lui rendit
encore plus friands les plaisirs du premier amour.
"Ma chere Annette, rien ne devait nous separer, si ce n'est le malheur
qui m'accable et qu'aucune prudence humaine n'aurait su prevoir. Mon
pere s'est tue, sa fortune et la mienne sont entierement perdues. Je
suis orphelin a un age ou, par la nature de mon education, je puis
passer pour un enfant; et je dois neanmoins me relever homme de l'abime
ou je suis tombe. Je viens d'employer une partie de cette nuit a faire
mes calculs. Si je veux quitter la France en honnete homme, et ce n'est
pas un doute, je n'ai pas cent francs a moi pour aller tenter le sort
aux Indes ou en Amerique. Oui, ma pauvre Anna, j'irai chercher la
fortune sous les climats les plus meurtriers. Sous de tels cieux, elle
est sure et prompte, m'a-t-on dit. Quant a rester a Paris, je ne
saurais. Ni mon ame ni mon visage ne sont faits a supporter les
affronts, la froideur, le dedain qui attendent l'homme ruine, le fils du
failli! Bon Dieu! devoir deux millions?... J'y serais tue en duel dans
la premie
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