che etait toujours la; enfin, j'ai
trouve ces jours-ci, en fouillant dans un vieux portefeuille de ton
pere, qui me l'avait donne quand il etait deja bien mal, et que
j'avais garde en souvenir de lui, sans penser qu'il put rien contenir
d'important; j'ai trouve le recu de cinquante mille francs; ce recu est
ecrit de la main de ta cousine, et je le conserve soigneusement.
Charles:--O Marianne, donne-le-moi vite! que j'aille demander mon argent
a ma cousine.
Marianne:--Non, je ne te le donnerai pas, parce qu'elle te l'arracherait
des mains et le mettrait en pieces, et tu n'aurais plus de preuves; et
puis, parce que tu es trop jeune pour avoir ta fortune; il faut que tu
attendes jusqu'a dix-huit ans, et ce sera M. le juge de paix qui te la
fera rendre.
Juliette:--Et puis, qu'as-tu besoin d'argent a present? qu'en ferais-tu?
Charles, vivement:--Ce que j'en ferais? Je payerai de suite tout ce que
vous devez, pour que vous puissiez vivre sans privations, et que tu ne
sois pas toujours seule comme tu l'es depuis trois ans, pauvre Juliette!
Juliette, touchee:--Mon bon Charles, je te remercie de ta bonne volonte
pour nous, mais je ne suis pas malheureuse; je ne m'ennuie pas; tu viens
souvent me voir; nous causons, nous rions ensemble; et puis je tricote,
je suis contente de gagner quelque argent pour notre menage; et quand je
suis fatiguee de tricoter, je pense, je reflechis.
Charles:--A quoi penses-tu? Juliette:--Je pense au bon Dieu, qui m'a
fait la grace de devenir aveugle...
Charles:--La grace? Tu appelles grace ce malheur qui fait trembler les
plus courageux?
Juliette:--Oui, Charles, une grace; si j'y voyais, je serais peut-etre
etourdie, legere, coquette. On dit que je suis jolie, l'en aurais de
la vanite; je voudrais me faire voir, me faire admirer; le travail
m'ennuierait; je n'obeirais pas a Marianne comme je le fais, je ne
t'aimerais pas comme je t'aime; je n'aurais pas la consolation de penser
a l'avenir que me prepare le bon Dieu apres ma mort, et que chaque
heure de la journee peut me faire gagner, en supportant avec douceur et
patience les privations imposees aux pauvres aveugles.
Charles, emu:--Tu vois bien que tu as des privations?
Juliette:--Certainement! De grandes et de continuelles, mais je les
aime, parce qu'elles me profitent pres du bon Dieu; ainsi je voudrais
bien voir ma chere Marianne, qui fait tant pour moi; je voudrais bien
te voir, toi, mon bon Charles, qui me temoignes tant de c
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