ser. Tu etais une adorable enfant avec ton caractere franc, hardi
et entreprenant, avec ta candeur affectueuse et tes bizarres volontes.
Mais il etait temps que des occupations plus elevees et des idees plus
justes vinssent regler l'elan impetueux de cette jeune tete; l'education
te devenait indispensable, non pour etre heureuse, ton organisation
superieure ne le permettait guere, mais du moins pour ne pas descendre
de l'echelon eleve ou Dieu avait place ton intelligence. Tu quittas
Elisabeth, tes freres de lait, le cure, ta vieille marquise, tous tes
amis et jusqu'a tes chevres, avec une sorte de desespoir passionne.
Tu les embrassais alternativement en versant des torrents de larmes.
Cependant, quand on te proposait de rester, tu t'ecriais: "C'est
impossible! c'est impossible! il faut que je voyage." Tu le sentais,
Sylvia, cette vie n'etait pas faite pour toi. Du fond des abimes de
l'inconnu, une voix mysterieuse s'elevait incessamment vers toi et te
reclamait dans cette region des orages que tu devais traverser. Tu es
devenue ce que tu es sans rien perdre de ta grace sauvage et de ta rude
franchise. Tu as vu notre civilisation, et tu es restee l'enfant de la
montagne. Faut-il s'etonner que tu aies si peu de sympathie avec ce
monde imbecile et faux, quand tu rapportes du desert l'apre droiture et
le severe amour de la justice que Dieu revele aux coeurs purs et aux
esprits robustes, quand tout ton etre, et jusqu'a ta vigueur physique,
differe des etres qui sont autour de toi? Ils ne te viennent pas a la
cheville, pauvre Sylvia, et tu te fatigues a regarder a terre sans
trouver un coeur qui soit digne d'etre ramasse. Je le crois bien, Octave
n'est pas fait pour toi! et pourtant, s'il est au monde un jeune homme
sincere, doux et affectueux, c'est bien lui; mais le meilleur possible
entre tous n'est pas ton egal, et tu dois souffrir. Que veux-tu que je
te dise? aime-le aussi longtemps que tu le pourras.
Quant au secret de ta naissance, je te conjure de ne lui donner aucun
detail; reponds a ses soupcons que je suis ton frere. Les personnes qui
ont l'esprit bien fait devraient l'imaginer sans demander d'explication.
Les inquietudes d'Octave m'offensent pour toi. J'ai tort sans doute; il
ne te connait pas comme moi, il souffre comme souffriraient a sa place
les dix-neuf vingtiemes des hommes; il est jaloux parce qu'il est epris.
Je me dis tout cela; mes je ne puis chasser l'espece d'indignation qui
souleve mon sang a l'idee
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