e Iere. Mais si tout cela marche de front, tu
vas, mon cher Horace, faire invasion dans la litterature."
Horace etait furieux. Il se plaignit de ma curiosite, et, m'arrachant
des mains tous ces commencements, dont aucun n'avait ete pousse au dela
d'une demi-page, il les froissa, en fit une boule, et la jeta dans la
cheminee.
"Quoi! tant de reves, tant de projets, tant de conceptions entierement
abandonnees pour une plaisanterie? lui dis-je.
--Mon cher ami, si tu viens ici pour te divertir, repondit-il, je le
veux bien! Causons, rions tant que tu voudras; mais si tu me railles
avant que mon char soit lance, je ne pourrai jamais remettre mes chevaux
au galop.
--Je m'en vais, je m'en vais, dis-je en reprenant mon chapeau; je ne
veux pas te deranger dans le moment de l'inspiration.
--Non, non, reste, dit-il en me retenant de force; l'inspiration ne
viendra pas aujourd'hui. Je suis stupide, et tu viens a point pour me
distraire de moi-meme. Je suis harasse, j'ai la tete brisee. Il y a
trois nuits que je n'ai dormi, et cinq jours que je n'ai pris l'air.
--Eh bien, c'est un beau courage, et je t'en felicite. Tu dois avoir
quelque chose en train. Veux-tu me le lire?
--Moi! Je n'ai rien ecrit. Pas une ligne de redaction; c'est une chose
plus difficile que je ne croyais de se mettre a barbouiller du papier.
Vraiment, c'est rebutant. Les sujets m'obsedent. Quand je ferme les
yeux, je vois une armee, un monde de creations se peindre et s'agiter
dans mon cerveau. Quand je rouvre les yeux, tout cela disparait. J'avale
des pintes de cafe, je fume des pipes par douzaines, je me grise dans
mon propre enthousiasme; il me semble que je vais eclater comme un
volcan. Et quand je m'approche de cette table maudite, la lave se fige
et l'inspiration se refroidit. Pendant le temps d'appreter une feuille
de papier et de tailler ma plume, l'ennui me gagne; l'odeur de l'encre
me donne des nausees. Et puis cette horrible necessite de traduire par
des mots et d'aligner en pattes de mouches des pensees ardentes, vives,
mobiles comme les rayons du soleil teignant les nuages de l'air! Oh!
c'est un metier, cela aussi! Ou fuir le metier, grand Dieu? Le metier me
poursuivra partout!
--Vous avez donc la pretention, lui dis-je, de trouver une maniere
d'exprimer votre pensee qui n'ait pas une forme sensible? Je n'en
connais pas.
--Non, dit-il, mais je voudrais m'exprimer de prime abord, sans fatigue,
mais sans effort, comme l'eau murmure e
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