"C'est encore un sacrifice a faire, mes pauvres enfants, dit le comte
en les embrassant avec tendresse; votre maman a defendu a Blaise de
vous voir, soit chez lui, soit ailleurs; le pauvre garcon a promis
d'obeir; il m'a demande de lui venir en aide pour tenir sa promesse;
je le lui ai promis, quelque penible et douloureuse que me soit
cette contrainte. Je ne crois pas pouvoir mieux l'aider qu'en vous
communiquant cette resolution si penible. Je suis certain que ni toi,
ma bonne Helene, ni toi, mon pauvre Jules, vous ne chercherez a le
faire manquer a sa parole, et que vous n'augmenterez pas son chagrin
en l'obligeant a repousser les occasions de rapprochement que vous lui
offririez.
--Pauvre Blaise! pauvre Blaise! s'ecrierent Helene et Jules, les yeux
pleins de larmes. Vous avez raison, papa, ajouta Jules; nous ne devons
pas rendre son sacrifice plus douloureux en le forcant a nous fuir.
Nous eviterons de passer devant sa maison, et nous ne lui ferons meme
rien dire par vous, pour ne pas lui donner la tentation de repondre ou
le chagrin de ne pas repondre. Mais vous lui direz, papa, combien cet
effort m'est penible, avec quelle tristesse, quel regret je penserai a
lui, a nos bonnes conversations d'autrefois. Pauvre Blaise! il souffre
de cette separation injuste et cruelle. Je ne comprends pas comment
maman peut etre si injuste pour cet excellent garcon. Elle devrait
l'attirer, au lieu de le repousser; l'aimer, au lieu...
LE COMTE
Jules, Jules, respecte ta mere, mon enfant; conforme-toi a ses ordres
sans les juger, sans les blamer. Souviens-toi que nous-memes nous
avons partage ses preventions; qu'il y a peu de semaines encore je
defendais a Blaise l'entree du chateau; que c'est ta maladie qui a
tout change, et que, sans tes aveux, le pauvre garcon souffrirait
encore de l'opinion si fausse que j'avais de lui.
JULES
Oui, papa, tout cela par ma faute, par suite de mes mechancetes,
de mes calomnies contre ce bon Blaise. Je l'ai toujours estime et
respecte, parce que je l'ai connu des le commencement; mais je
l'ai perdu de reputation par jalousie et par la malveillance que
j'eprouvais contre tous ceux qui etaient bons. La pauvre Helene sait
ce que j'etais; c'est le remords qui m'a rendu malade, et je suis sur
que ce sont les prieres de mon cher Blaise qui ont change mon coeur...
et le votre, ajouta-t-il en embrassant tendrement son pere. N'est-il
pas vrai, papa, que nous sommes bien changes?
LE COMTE
O
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