suivit de longs couloirs tapisses de nattes, monta, monta encore,
et finit par se trouver dans un petit oratoire turc, ou une lanterne
en fer decoupe se balancait au plafond, brodant les murs blancs
d'ombres bizarres.
[20]Le muezzin etait la, assis sur un divan, avec son gros turban,
sa pelisse blanche, sa pipe de Mostaganem, et devant un grand
verre d'absinthe fraiche, qu'il battait religieusement, en attendant
l'heure d'appeler les croyants a la priere.... A la vue
de Tartarin, il lacha sa pipe de terreur.
[25]"Pas un mot, cure," fit le Tarasconnais, qui avait son
idee.... "Vite, ton turban, ta pelisse!..."
Le cure turc, tout tremblant, donna son turban, sa pelisse,
tout ce qu'on voulut. Tartarin s'en affubla, et passa gravement
sur la terrasse du minaret.
[30]La mer luisait au loin. Les toits blancs etincelaient au clair de
lune. On entendait dans la brise marine quelques guitares attardees....
Le muezzin de Tarascon se recueillit un moment, puis,
levant les bras, il commenca a psalmodier d'une voix suraigue:
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"_La Allah il Allah_.... Mahomet est un vieux farceur.,..
L'Orient, le Coran, les bachagas, les lions, les Mauresques, tout
ca ne vaut pas un viedaze!... Il n'y a plus de _Teurs_....
Il n'y a que des carotteurs.... Vive Tarascon!..."
[5]Et pendant qu'en un jargon bizarre, mele d'arabe et de provencal,
l'illustre Tartarin jetait aux quatre coins de l'horizon, sur
la ville, sur la plaine, sur la montagne, sa joyeuse malediction
tarasconnaise, la voix claire et grave des autres muezzins lui
repondait, en s'eloignant de minaret en minaret, et les derniers
[10]croyants de la ville haute se frappaient devotement la poitrine.
VIII
_Tarascon! Tarascon!_
Midi. Le _Zouave_ chauffe, on va partir. La-haut, sur le balcon
du cafe Valentin, MM. les officiers braquent la longue-vue, et
viennent, colonel en tete, par rang de grade, regarder l'heureux
petit bateau qui va en France. C'est la grande distraction de
[15]l'etat-major.... En has, la rade etincelle. La culasse des
vieux canons turcs enterres le long du quai flambe au soleil.
Les passagers se pressent. Biskris et Mahonnais entassent
les bagages dans les barques.
Tartarin de Tarascon, lui, n'a pas de bagages. Le voici qui
[20]descend de la rue de la Marine, par le petit marche, plein de
bananes et de pasteques, accompagne de son ami Barbassou.
Le malheureux Tarasconnais a laisse sur la rive du Maure sa
caisse d'armes et ses illu
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