'est un monde entier
sur la terre, monde different, qui a sa vie propre, ses habitants
sedentaires, et ses voyageurs de passage, ses voix, ses bruits et son
mystere surtout. Rien n'est plus troublant, plus inquietant, plus
effrayant, parfois, qu'un marecage. Pourquoi cette peur qui plane sur ces
plaines basses couvertes d'eau? Sont-ce les vagues rumeurs des roseaux, les
etranges feux follets, le silence profond qui les enveloppe dans les nuits
calmes, ou bien les brumes bizarres, qui trainent sur les joncs comme des
robes de mortes, ou bien encore l'imperceptible clapotement, si leger, si
doux, et plus terrifiant parfois que le canon des hommes ou que le tonnerre
du ciel, qui fait ressembler les marais a des pays de reve, a des pays
redoutables cachant un secret inconnaissable et dangereux.
Non. Autre chose s'en degage, un autre mystere, plus profond, plus grave,
flotte dans les brouillards epais, le mystere meme de la creation
peut-etre! Car n'est-ce pas dans l'eau stagnante et fangeuse, dans la
lourde humidite des terres mouillees sous la chaleur du soleil, que remua,
que vibra, que s'ouvrit au jour le premier germe de vie?
* * * * *
J'arrivai le soir chez mon cousin. Il gelait a fendre les pierres.
Pendant le diner, dans la grande salle dont les buffets, les murs, le
plafond etaient couverts d'oiseaux empailles, aux ailes etendues, ou
perches sur des branches accrochees par des clous, eperviers, herons,
hiboux, engoulevents, buses, tiercelets, vautours, faucons, mon cousin
pareil lui meme a un etrange animal des pays froids, vetu d'une jaquette en
peau de phoque, me racontait les dispositions qu'il avait prises pour cette
nuit meme.
Nous devions partir a trois heures et demie du matin, afin d'arriver vers
quatre heures et demie au point choisi pour notre affut. On avait construit
a cet endroit une hutte avec des morceaux de glace pour nous abriter un peu
contre le vent terrible qui precede le jour, ce vent charge de froid qui
dechire la chair comme des scies, la coupe comme des lames, la pique comme
des aiguillons empoisonnes, la tord comme des tenailles, et la brule comme
du feu.
Mon cousin se frottait les mains: "Je n'ai jamais vu une gelee pareille,
disait-il, nous avions deja douze degres sous zero a six heures du soir."
J'allai me jeter sur mon lit aussitot apres le repas, et je m'endormis a la
lueur d'une grande flamme flambant dans ma cheminee.
A trois heures sonn
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