oif de nouveau; j'allumai une
bougie et j'allai vers la table ou etait posee ma carafe. Je la soulevai en
la penchant sur mon verre; rien ne coula.--Elle etait vide! Elle etait vide
completement! D'abord, je n'y compris rien; puis, tout a coup, je ressentis
une emotion si terrible, que je dus m'asseoir, ou plutot, que je tombai sur
une chaise! puis, je me redressai d'un saut pour regarder autour de moi!
puis je me rassis, eperdu d'etonnement et de peur, devant le cristal
transparent! Je le contemplais avec des yeux fixes, cherchant a deviner.
Mes mains tremblaient! On avait donc bu cette eau? Qui? Moi? moi, sans
doute? Ce ne pouvait etre que moi? Alors, j'etais somnambule, je vivais,
sans le savoir, de cette double vie mysterieuse qui fait douter s'il y a
deux etres en nous, ou si un etre etranger, inconnaissable et invisible,
anime, par moments, quand notre ame est engourdie, notre corps captif qui
obeit a cet autre, comme a nous-memes, plus qu'a nous-memes.
Ah! qui comprendra mon angoisse abominable? Qui comprendra l'emotion d'un
homme, sain d'esprit, bien eveille, plein de raison et qui regarde
epouvante, a travers le verre d'une carafe, un peu d'eau disparue pendant
qu'il a dormi! Et je restai la jusqu'au jour, sans oser regagner mon lit.
_6 juillet_.--Je deviens fou. On a encore bu toute ma carafe cette
nuit;--ou plutot, je l'ai bue!
Mais, est-ce moi? Est-ce moi? Qui serait-ce? Qui? Oh! mon Dieu! Je deviens
fou? Qui me sauvera?
_10 juillet_.--Je viens de faire des epreuves surprenantes.
Decidement, je suis fou! Et pourtant!
Le 6 juillet, avant de me coucher, j'ai place sur ma table du vin, du lait,
de l'eau, du pain et des fraises.
On a bu--j'ai bu--toute l'eau, et un peu de lait. On n'a touche ni au vin,
ni au pain, ni aux fraises.
Le 7 juillet, j'ai renouvele la meme epreuve, qui a donne le meme resultat.
Le 8 juillet, j'ai supprime l'eau et le lait. On n'a touche a rien.
Le 9 juillet enfin, j'ai remis sur ma table l'eau et le lait seulement, en
ayant soin d'envelopper les carafes en des linges de mousseline blanche et
de ficeler les bouchons. Puis, j'ai frotte mes levres, ma barbe, mes mains
avec de la mine de plomb, et je me suis couche.
L'invincible sommeil m'a saisi, suivi bientot de l'atroce reveil. Je
n'avais point remue; mes draps eux-memes ne portaient pas de taches. Je
m'elancai vers ma table. Les linges enfermant les bouteilles etaient
demeures immacules. Je deliai les cordons, en
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