lisait. D'un bond furieux,
d'un bond de bete revoltee, qui va eventrer son dompteur, je traversai ma
chambre pour le saisir, pour l'etreindre, pour le tuer!... Mais mon siege,
avant que je l'eusse atteint, se renversa comme si on eut fui devant moi...
ma table oscilla, ma lampe tomba et s'eteignit, et ma fenetre se ferma
comme si un malfaiteur surpris se fut elance dans la nuit, en prenant a
pleines mains les battants.
Donc, il s'etait sauve; il avait eu peur, peur de moi, lui!
Alors,... alors... demain... ou apres,... ou un jour quelconque,... je
pourrai donc le tenir sous mes poings, et l'ecraser contre le sol! Est-ce
que les chiens, quelquefois, ne mordent point et n'etranglent pas leurs
maitres?
_18 aout_.--J'ai songe toute la journee. Oh! oui, je vais lui obeir, suivre
ses impulsions, accomplir toutes ses volontes, me faire humble, soumis,
lache. Il est le plus fort. Mais une heure viendra...
_19 aout_.--Je sais... je sais... je sais tout! Je viens de lire ceci dans
la _Revue du Monde Scientifique_: "Une nouvelle assez curieuse nous arrive
de Rio de Janeiro. Une folie, une epidemie de folie, comparable aux
demences contagieuses qui atteignirent les peuples d'Europe au moyen age,
sevit en ce moment dans la province de San-Paulo. Les habitants eperdus
quittent leurs maisons, desertent leurs villages, abandonnent leurs
cultures, se disant poursuivis, possedes, gouvernes comme un betail humain
par des etres invisibles bien que tangibles, des sortes de vampires qui se
nourrissent de leur vie, pendant leur sommeil, et qui boivent en outre de
l'eau et du lait sans paraitre toucher a aucun autre aliment.
"M. le professeur Don Pedro Henriquez, accompagne de plusieurs savants
medecins, est parti pour la province de San-Paulo, afin d'etudier sur place
les origines et les manifestations de cette surprenante folie, et de
proposer a l'Empereur les mesures qui lui paraitront le plus propres a
rappeler a la raison ces populations en delire."
Ah! Ah! je me rappelle, je me rappelle le beau trois-mats bresilien qui
passa sous mes fenetres en remontant la Seine, le 8 mai dernier! Je le
trouvai si joli, si blanc, si gai! L'Etre etait dessus, venant de la-bas,
ou sa race est nee! Et il m'a vu! Il a vu ma demeure blanche aussi; et il a
saute du navire sur la rive. Oh! mon Dieu!
A present, je sais, je devine. Le regne de l'homme est fini.
Il est venu, Celui que redoutaient les premieres terreurs des peuples
naifs, Celui q
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