ses qui m'ont beaucoup trouble.
Je dinais chez ma cousine, Mme Sable, dont le mari commande le 76e
chasseurs a Limoges. Je me trouvais chez elle avec deux jeunes femmes, dont
l'une a epouse un medecin, le docteur Parent, qui s'occupe beaucoup des
maladies nerveuses et des manifestations extraordinaires auxquelles donnent
lieu en ce moment les experiences sur l'hypnotisme et la suggestion.
Il nous raconta longuement les resultats prodigieux obtenus par des savants
anglais et par les medecins de l'ecole de Nancy.
Les faits qu'il avanca me parurent tellement bizarres, que je me declarai
tout a fait incredule.
"Nous sommes, affirmait-il, sur le point de decouvrir un des plus
importants secrets de la nature, je veux dire, un de ses plus importants
secrets sur cette terre; car elle en a certes d'autrement importants,
la-bas, dans les etoiles. Depuis que l'homme pense, depuis qu'il sait dire
et ecrire sa pensee, il se sent frole par un mystere impenetrable pour ses
sens grossiers et imparfaits, et il tache de suppleer, par l'effort de son
intelligence, a l'impuissance de ses organes. Quand cette intelligence
demeurait encore a l'etat rudimentaire, cette hantise des phenomenes
invisibles a pris des formes banalement effrayantes. De la sont nees les
croyances populaires au surnaturel, les legendes des esprits rodeurs, des
fees, des gnomes, des revenants, je dirai meme la legende de Dieu, car nos
conceptions de l'ouvrier-createur, de quelque religion qu'elles nous
viennent, sont bien les inventions les plus mediocres, les plus stupides,
les plus inacceptables sorties du cerveau apeure des creatures. Rien de
plus vrai que cette parole de Voltaire. "Dieu a fait l'homme a son image,
mais l'homme le lui a bien rendu."
"Mais, depuis un peu plus d'un siecle, on semble pressentir quelque chose
de nouveau. Mesmer et quelques autres nous ont mis sur une voie inattendue,
et nous sommes arrives vraiment, depuis quatre ou cinq ans surtout, a des
resultats surprenants."
Ma cousine, tres incredule aussi, souriait. Le docteur Parent lui
dit:--Voulez-vous que j'essaie de vous endormir, Madame?
--Oui, je veux bien.
Elle s'assit dans un fauteuil et il commenca a la regarder fixement en la
fascinant. Moi, je me sentis soudain un peu trouble, le coeur battant, la
gorge serree. Je voyais les yeux de Mme Sable s'alourdir, sa bouche se
crisper, sa poitrine haleter.
Au bout de dix minutes, elle dormait.
--Mettez-vous derriere elle,
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