palpitant de crainte. On
avait bu toute l'eau! on avait bu tout le lait! Ah! mon Dieu!...
Je vais partir tout a l'heure pour Paris.
_12 juillet_.--Paris. J'avais donc perdu la tete les jours derniers! J'ai
du etre le jouet de mon imagination enervee, a moins que je ne sois
vraiment somnambule, ou que j'aie subi une de ces influences constatees,
mais inexplicables jusqu'ici, qu'on appelle suggestions. En tout cas, mon
affolement touchait a la demence, et vingt-quatre heures de Paris ont suffi
pour me remettre d'aplomb.
Hier, apres des courses et des visites, qui m'ont fait passer dans l'ame de
l'air nouveau et vivifiant, j'ai fini ma soiree au Theatre-Francais. On y
jouait une piece d'Alexandre Dumas fils; et cet esprit alerte et puissant a
acheve de me guerir. Certes, la solitude est dangereuse pour les
intelligences qui travaillent. Il nous faut, autour de nous, des hommes qui
pensent et qui parlent. Quand nous sommes seuls longtemps, nous peuplons le
vide de fantomes.
Je suis rentre a l'hotel tres gai, par les boulevards. Au coudoiement de la
foule, je songeais, non sans ironie, a mes terreurs, a mes suppositions de
l'autre semaine, car j'ai cru, oui, j'ai cru qu'un etre invisible habitait
sous mon toit. Comme notre tete est faible et s'effare, et s'egare vite,
des qu'un petit fait incomprehensible nous frappe!
Au lieu de conclure par ces simples mots: "Je ne comprends pas parce que la
cause m'echappe", nous imaginons aussitot des mysteres effrayants et des
puissances surnaturelles.
_14 juillet_.--Fete de la Republique. Je me suis promene par les rues. Les
petards et les drapeaux m'amusaient comme un enfant. C'est pourtant fort
bete d'etre joyeux, a date fixe, par decret du gouvernement. Le peuple est
un troupeau imbecile, tantot stupidement patient et tantot ferocement
revolte. On lui dit: "Amuse-toi." Il s'amuse. On lui dit: "Va te battre
avec le voisin." Il va se battre. On lui dit: "Vote pour l'Empereur." Il
vote pour l'Empereur. Puis, on lui dit: "Vote pour la Republique." Et il
vote pour la Republique.
Ceux qui le dirigent sont aussi sots; mais au lieu d'obeir a des hommes,
ils obeissent a des principes, lesquels ne peuvent etre que niais, steriles
et faux, par cela meme qu'ils sont des principes, c'est-a-dire des idees
reputees certaines et immuables, en ce monde ou l'on n'est sur de rien,
puisque la lumiere est une illusion, puisque le bruit est une illusion.
_16 juillet_.--J'ai vu hier des cho
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