de mettre en mouvement ma volonte. Je ne peux plus
vouloir; mais quelqu'un veut pour moi; et j'obeis.
_14 aout_.--Je suis perdu! Quelqu'un possede mon ame et la gouverne!
quelqu'un ordonne tous mes actes, tous mes mouvements, toutes mes pensees.
Je ne suis plus rien en moi, rien qu'un spectateur esclave et terrifie de
toutes les choses que j'accomplis. Je desire sortir. Je ne peux pas. Il ne
veut pas; et je reste, eperdu, tremblant, dans le fauteuil ou il me tient
assis. Je desire seulement me lever, me soulever, afin de me croire encore
maitre de moi. Je ne peux pas! Je suis rive a mon siege; et mon siege
adhere au sol, de telle sorte qu'aucune force ne nous souleverait.
Puis, tout d'un coup, il faut, il faut, il faut que j'aille au fond de mon
jardin cueillir des fraises et les manger. Et j'y vais. Je cueille des
fraises et je les mange! Oh! mon Dieu! Mon Dieu! Mon Dieu! Est-il un Dieu?
S'il en est un, delivrez-moi, sauvez-moi! secourez-moi! Pardon! Pitie!
Grace! Sauvez-moi! Oh! quelle souffrance! quelle torture! quelle horreur!
_15 aout_.--Certes, voila comment etait possedee et dominee ma pauvre
cousine, quand elle est venue m'emprunter cinq mille francs. Elle subissait
un vouloir etranger entre en elle, comme une autre ame, comme une autre ame
parasite et dominatrice. Est-ce que le monde va finir?
Mais celui qui me gouverne, quel est-il, cet invisible? cet inconnaissable,
ce rodeur d'une race surnaturelle?
Donc les Invisibles existent! Alors, comment depuis l'origine du monde ne
se sont-ils pas encore manifestes d'une facon precise comme ils le font
pour moi? Je n'ai jamais rien lu qui ressemble a ce qui s'est passe dans ma
demeure. Oh! si je pouvais la quitter, si je pouvais m'en aller, fuir et ne
pas revenir. Je serais sauve, mais je ne peux pas.
_16 aout_.--J'ai pu m'echapper aujourd'hui pendant deux heures, comme un
prisonnier qui trouve ouverte, par hasard, la porte de son cachot. J'ai
senti que j'etais libre tout a coup et qu'il etait loin. J'ai ordonne
d'atteler bien vite et j'ai gagne Rouen. Oh! quelle joie de pouvoir dire a
un homme qui obeit: "Allez a Rouen!"
Je me suis fait arreter devant la bibliotheque et j'ai prie qu'on me pretat
le grand traite du docteur Hermann Herestauss sur les habitants inconnus du
monde antique et moderne.
Puis, au moment de remonter dans mon coupe, j'ai voulu dire: "A la gare!"
et j'ai crie,--je n'ai pas dit, j'ai crie--d'une voix si forte que les
passants se so
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