te tache rouge a trois pas de mes yeux.
Eperdu, je me jetai sur elle pour la saisir! Je ne trouvai rien; elle avait
disparu. Alors je fus pris d'une colere furieuse contre moi-meme; car il
n'est pas permis a un homme raisonnable et serieux d'avoir de pareilles
hallucinations.
Mais etait-ce bien une hallucination? Je me retournai pour chercher la
tige, et je la retrouvai immediatement sur l'arbuste, fraichement brisee,
entre les deux autres roses demeurees a la branche.
Alors, je rentrai chez moi l'ame bouleversee; car je suis certain,
maintenant, certain comme de l'alternance des jours et des nuits, qu'il
existe pres de moi un etre invisible, qui se nourrit de lait et d'eau, qui
peut toucher aux choses, les prendre et les changer de place, doue par
consequent d'une nature materielle, bien qu'imperceptible pour nos sens, et
qui habite comme moi, sous mon toit...
_7 aout_.--J'ai dormi tranquille. Il a bu l'eau de ma carafe, mais n'a
point trouble mon sommeil.
Je me demande si je suis fou. En me promenant, tantot au grand soleil, le
long de la riviere, des doutes me sont venus sur ma raison, non point des
doutes vagues comme j'en avais jusqu'ici, mais des doutes precis, absolus.
J'ai vu des fous; j'en ai connu qui restaient intelligents, lucides,
clairvoyants meme sur toutes les choses de la vie, sauf sur un point. Ils
parlaient de tout avec clarte, avec souplesse, avec profondeur, et soudain
leur pensee touchant l'ecueil de leur folie, s'y dechirait en pieces,
s'eparpillait et sombrait dans cet ocean effrayant et furieux, plein de
vagues bondissantes, de brouillards, de bourrasques, qu'on nomme "la
demence".
Certes, je me croirais fou, absolument fou, si je n'etais conscient, si je
ne connaissais parfaitement mon etat, si je ne le sondais en l'analysant
avec une complete lucidite. Je ne serais donc, en somme, qu'un hallucine
raisonnant. Un trouble inconnu se serait produit dans mon cerveau, un de
ces troubles qu'essayent de noter et de preciser aujourd'hui les
physiologistes; et ce trouble aurait determine dans mon esprit, dans
l'ordre et la logique de mes idees, une crevasse profonde. Des phenomenes
semblables ont lieu dans le reve qui nous promene a travers les
fantasmagories les plus invraisemblables, sans que nous en soyions surpris,
parce que l'appareil verificateur, parce que le sens du controle est
endormi; tandis que la faculte imaginative veille et travaille. Ne se
peut-il pas qu'une des imperceptible
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