ce vieil avare qui ne voulait pas
mourir, se trouva singulierement augmente par le mepris que cette femme
noire lui inspirait. Elle avait de la religion, mademoiselle Emma,
"comme tous les gens comme il faut," mais elle n'aimait pas les devots.
Pour madame Pretavoine, restee seule, elle avait de nouveau abandonne
son livre pour reflechir.
Ce qu'elle venait de voir et d'entendre etait assez clair pour qu'un
grand effort d'esprit ne lui fut pas necessaire.
"Mylord" etait l'amant de madame de la Roche-Odon, l'amant en titre,
celui pour lequel on avait des egards et dont sans doute on dependait
a un titre quelconque et ce titre n'etait pas bien difficile a deviner
pour qui connaissait la position embarrassee de la vicomtesse: on
n'habite pas un appartement complet, au premier etage de la via
Gregoriana, avec plusieurs domestiques, sans de grosses depenses. Qui
fournissait a ces depenses?--Mylord.
Quant au jeune elegant qu'on renvoyait, c'etait un amant subalterne,
avec qui l'on ne se genait point, et qui malgre son mecontentement
acceptait assez volontiers son role.
Comme elle en arrivait a ce point de son raisonnement, elle entendit un
bruit de voix dans le vestibule.
Rapidement elle reprit son livre.
Et presqu'aussitot la porte s'ouvrit devant la vicomtesse de la
Roche-Odon.
IV
Madame Pretavoine avait souvent entendu parler de la beaute de la
vicomtesse de la Roche-Odon; mais pour elle, c'etait chose passee
que cette beaute; car, bien qu'on ne sut pas au juste l'age de la
vicomtesse, il resultait des incidents de sa vie revelee par ses
nombreux proces, qu'elle devait avoir au moins quarante ans, sinon plus.
Et cependant la femme qui venait d'ouvrir la porte ne paraissait pas
avoir trente ans; pas une ride sur le visage; une demarche souple,
legere, pleine de grace; une chevelure blonde et fine comme celle d'une
jeune fille de quatorze ans; une bouche rose; un sourire radieux; et
avec tout cela la beaute correcte d'une statue, de la tete aux pieds.
Madame Pretavoine, qui cependant n'etait guere sensible a la beaute, fut
emerveillee.
Elle s'etait levee; elle resta un moment sans parler.
Ce fut madame de la Roche-Odon qui commenca l'entretien:
--On me dit, madame, que vous avez a me remettre une lettre de M.
Filsac; il a ete plein de zele, plein de devouement pour moi M. Filsac,
et je serais heureuse de lui temoigner ma reconnaissance pour ses bons
soins.
Cela fut dit avec une bonne gr
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