pense
depuis; la prudence ne le veut pas, et je suis obligee de prendre des
biais,[115] et d'aller tout doucement avec cette passion si excessive que
tu dis qu'il a, et qui eclateroit peut-etre dans sa douleur. Me fierois-je
a un desespere? Ce n'est plus le besoin que j'ai de lui qui me retient,
c'est moi que je menage. (_Elle radoucit le ton._) A moins que ce qu'a dit
Marton ne soit vrai, auquel cas je n'aurois plus rien a craindre. Elle
pretend qu'il l'avoit deja vue chez monsieur Remy, et que le procureur a
dit meme devant lui qu'il l'aimoit depuis longtemps, et qu'il falloit
qu'ils se mariassent. Je le voudrois.
DUBOIS.
Bagatelle! Dorante n'a vu Marton ni de pres ni de loin; c'est le procureur
qui a debite cette fable-la a Marton, dans le dessein de les marier
ensemble; et moi je n'ai pas ose l'en dedire,[116] m'a dit Dorante, parce
que j'aurois indispose contre moi cette fille, qui a du credit aupres de
sa maitresse, et qui a cru ensuite que c'etoit pour elle que je refusois
les quinze mille livres de rente qu'on m'offroit.
ARAMINTE, _negligemment_.
Il t'a donc tout conte.
DUBOIS.
Oui, il n'y a qu'un moment, dans le jardin, ou il a voulu presque se jeter
a mes genoux pour me conjurer de lui garder le secret sur sa passion, et
d'oublier l'emportement qu'il eut avec moi quand je le quittai. Je lui ai
dit que je me tairois, mais que je ne pretendois pas rester dans la maison
avec lui, et qu'il falloit qu'il sortit; ce qui l'a jete dans des
gemissements, dans des pleurs, dans le plus triste etat du monde.
ARAMINTE.
Eh! tant pis; ne le tourmente point; tu vois bien que j'ai raison de dire
qu'il faut aller doucement avec cet esprit-la, fu le vois bien. J'augurois
beaucoup de ce mariage avec Marton; je croyois qu'il m'oublieroit; et
point du tout, il n'est question de rien.
DUBOIS, _comme s'en allant_.[117]
Pure fable. Madame a-t-elle encore quelque chose a me dire?
ARAMINTE.
Attends: comment faire? Si, lorsqu'il me parle, il me mettoit en droit de
me plaindre de lui! Mais il ne lui echappe rien; je ne sais de son amour
que ce que tu m'en dis, et je ne suis pas assez fondee pour le renvoyer.
Il est vrai qu'il me facherait s'il parloit; mais il seroit a propos qu'il
me fachat.
DUBOIS.
Vraiment oui; monsieur Dorante n'est point digne de Madame. S'il etoit
dans une plus grande fortune, comme il n'y a rien a dire a ce qu'il est
ne,[118] ce seroit une autre affaire; mais il n'est riche qu'en me
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