'il meprisait; et pour que cela n'arrivat pas, il avait propose a
lady Cappadoce de le remplacer par un de ses anciens eleves, celui
qu'il avait forme avec le plus d'amour, en qui il mettait le plus
d'esperances, qui le continuerait peut-etre un jour: Nicetas.
Bien que les deceptions que Soupert lui avait causees eussent ete
cruelles et mortifiantes, lady Cappadoce avait encore assez confiance
en sa probite d'artiste pour le croire en un pareil sujet. D'ailleurs,
Nicetas offrait des garanties personnelles, il etait premier prix
de violon du Conservatoire de Vienne, premier prix egalement du
Conservatoire de Paris. Et quand Soupert affirmait que le meilleur
accompagnateur que put trouver mademoiselle de Chambrais etait ce jeune
musicien, il semblait qu'on pouvait se fier a cette parole.
Mais Soupert, ne s'en tenant pas a ces titres serieux qui recommandaient
l'artiste, avait ajoute tout bas et confidentiellement des details
particulier sur l'homme dont lady Cappadoce s'etait emue.
--Je dois vous dire que ce qu'est Nicetas au juste, je n'en sais rien.
--Mais alors....
--Evidemment il flotte dans une atmosphere mysterieuse. Quelle est
sa nationalite? Je n'ai que des probabilites a ce sujet. Comment se
nomme-t-il de vrai? Je l'ignore.
--Et vous le recommandez!
--Qu'il soit Russe, Francais, Italien, qu'il s'appelle Alexis, Jacques,
Emilio, cela ne lui donne ni ne lui retire du talent, et il me semble
que c'est le talent seul qui doit vous influencer. En tout cas, c'est
lui qui m'a fait m'interesser a Nicetas. Un jour il vint me trouver a
Palaiseau et me demander mes conseils, sinon mes lecons. Nous etions en
ete, et la poussiere couvrait ses chaussures, la sueur ruisselait sur
son visage comme s'il avait fait la route a pied. Je le questionnai.
Il me repondit qu'en effet il etait venu a pied. Huit lieues aller et
retour pour me demander un conseil, cela me toucha. Je lui offris de se
rafraichir. Il devora une miche de pain. Je me mis a sa disposition
pour lui donner autant de lecons qu'il voudrait en prendre; ce fut le
commencement de nos relations. Elles continuerent sans que j'apprisse
rien, ou a peu pres rien sur lui, tant il etait reserve et discret:
il etait remarquablement doue pour la musique; en toutes choses,
son education avait ete poussee beaucoup plus avant que ne l'est
ordinairement celle des virtuoses; il parlait plusieurs langues, voila
tout ce que je savais de lui. Il y avait a peu pres un an qu
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