se de
doux et de chaud comme un baiser? Effare, je retournai la tete, et je
vis, a l'attitude de Medora, que ce n'etait pas une hallucination.
Un cri de surprise, de colere reelle et de plaisir stupide tout a fait
involontaire, sortit de moi et se perdit dans le vacarme du torrent. Je
me reculai precipitamment, averti par ma conscience que tout elan de
joie et de reconnaissance serait un mensonge de la vanite ou de la
sensualite. La victoire eut peu de merite: cette belle creature parlait
mediocrement a mes sens, et nullement a mon coeur. Je ne saurais
m'eprendre d'elle que par l'imagination, et j'en suis defendu par la
certitude que son imagination seule s'est follement eprise de moi.
Eh quoi! pas meme son imagination; je devrais dire son amour-propre, son
depit de mon indifference, sa puerile jalousie de jolie femme contre la
Daniella. Je me souvins, en cet instant, que celle-ci m'avait provoque
plus singulierement encore en me baisant la main; mais, de sa part,
c'etait l'action d'une servante qui croit, a tort, devoir s'humilier
devant une superiorite sociale, et cette caresse, naivement servile,
m'avait donne envie de lui rendre la pareille pour retablir la logique
des choses. Rien de semblable ne me fut suggere par la provocation de
Medora.
C'etait pourtant une provocation chaste a force d'etre hardie. Je la
crois meme aussi froide qu'exaltee, cette Anglaise a passions de parti
pris. Il n'y a place en elle, je l'ai senti a premiere vue, ni pour
l'amitie tendre, ni pour l'amour ardent. Elle procede par coups de tete;
elle veut, ou vaincre ma resistance pour se moquer de moi ensuite, on se
persuader a elle-meme qu'elle eprouve les emotions violentes d'un amour
irresistible. Elle veut peut-etre recommencer le roman d'amour de sa
tante Harriet, sauf a me mepriser le lendemain comme on meprise le
pauvre lord B***.
--Ah! grand merci! me disais-je. Je ne serai pas si faible que lui. Je
garderai ma liberte et ma fierte. Je ne deviendrai pas amoureux de
cette beaute dangereuse et decevante, a qui ses millions persuaderaient
bientot qu'elle a le droit de m'avilir.
Je me disais tout cela, degrise de tout vin et de toute vanite, comme
vous voyez; et, malgre tout cela, j'etais tremblant de la tete aux
pieds, comme on l'est a la suite d'une commotion violente; car tout
appel a l'amour remue en nous la source profonde, sinon des plus vives
emotions de l'animal, du moins celle des plus hautes aspirations de
l'ame.
So
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