coua la tete.
-- Non, dit-il je viens te chercher parce que je veux me battre.
-- Avec Valence?
-- Oui.
-- Mais c'est Valence qui te battra, mon enfant; il est quatre
fois fort comme toi.
-- Aussi, je ne veux pas me battre contre lui comme se battent les
enfants, mais comme se battent les hommes.
-- Ah bah!
-- Cela t'etonne? demanda l'enfant.
-- Non, dit Bonaparte. Et a quoi veux-tu te battre?
-- A l'epee.
-- Mais les sergents seuls ont des epees, et ils ne vous en
preteront pas.
-- Nous nous passerons d'epees.
-- Et avec quoi vous battrez-vous?
L'enfant montra au jeune mathematicien le compas avec lequel il
venait de faire ses equations.
-- Oh! mon enfant, dit Bonaparte, c'est une bien mauvaise blessure
que celle d'un compas.
Tant mieux, repliqua Louis, je le tuerai.
-- Et, s'il te tue, toi?
-- J'aime mieux cela que de garder son soufflet.
Bonaparte n'insista pas davantage: il aimait le courage par
instinct: celui de son jeune camarade lui plut.
-- Eh bien soit! reprit-il; j'irai dire a Valence que tu veux te
battre avec lui, mais demain.
-- Pourquoi demain?
-- Tu auras la nuit pour reflechir.
-- Et d'ici a demain, repliqua l'enfant, Valence croira que je
suis un lache!
Puis, secouant la tete:
-- C'est trop long d'ici a demain.
Et il s'eloigna.
-- Ou vas-tu? lui demanda Bonaparte.
-- Je vais demander a un autre s'il veut etre mon ami.
-- Je ne le suis donc plus, moi?
-- Tu ne l'es plus, puisque tu me crois un lache.
-- C'est bien, dit le jeune homme en se levant.
-- Tu y vas?
-- J'y vais.
-- Tout de suite?
-- Tout de suite.
-- Ah! s'ecria l'enfant, je te demande pardon: tu es toujours mon
ami.
Et il lui sauta au cou en pleurant.
C'etaient les premieres larmes qu'il avait versees depuis le
soufflet recu.
Bonaparte alla trouver Valence et lui expliqua gravement la
mission dont il etait charge.
Valence etait un grand garcon de dix-sept ans, ayant deja, comme
chez certaines natures hatives, de la barbe et des moustaches: il
en paraissait vingt. II avait, en outre, la tete de plus que celui
qu'il avait insulte.
Valence repondit que Louis etait venu lui tirer la queue de la
meme facon qu'il eut tire un cordon de sonnette -- on portait des
queues a cette epoque -- qu'il l'avait prevenu deux fois de ne pas
y revenir, que Louis y etait revenu une troisieme, et qu'alors, ne
voyant en lui qu'un gamin, il l'avait traite comme un gamin.
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