ttes, mon pauvre Louis, tu vas leur faire des
trous.
Je remis sur la table mes mains qui tremblaient de rage. Pourquoi
"pauvre Louis"! Je n'aime pas qu'on me prenne en commiseration, surtout
quand je ne merite pas autre chose. Et puis, pourquoi s'attaquer a mes
habitudes, a mes tics? J'ai passe l'age ou un homme de ma trempe peut
tenter de s'ameliorer. La remarque de ma mere me parut non seulement
inutile, car elle me l'a deja faite mille fois, mais encore injurieuse
dans la situation ou je me trouvais. En outre, j'estimai peu delicat de
me recommander le menagement a l'egard de mes chaussettes dans un moment
ou notre pauvrete allait peut-etre se transformer en misere.
Je fus sur le point de donner libre cours aux phrases toutes preparees
qui me gonflaient la gorge; mais, par laquelle commencer? Elles se
pressaient a l'issue, comme des moutons affoles qui veulent tous
franchir en meme temps une porte etroite. Si bien que, cette fois
encore, je ne dis rien.
J'achevais mon dejeuner en regardant les meubles, les murs, la cheminee,
les objets temoins de mon existence et complices de maintes pensees
secretes: les lapins de biscuit, sur le buffet, la pendule qui porte une
figurine de bronze et qui sait sur moi des histoires qu'elle fera bien
de garder pour elle. Je regardais le paysage tyrolien, dans son cadre,
ce paysage de montagnes ou les meilleurs reves de mon enfance se sont
consumes, taris.
Aucun de ces bibelots, aucun des meubles ne voulait faire cause commune
avec moi.
Tous me devisageaient de facon insolente. Je sentais qu'au premier mot
de la querelle ils seraient tous du cote de ma mere, tous contre moi.
Comme nous achevions le repas, j'apercus, sur le coin de la machine a
coudre, la lettre que m'avait remise notre concierge.
Le regard de ma mere devait accompagner le mien, car elle murmura
presque aussitot:
--C'est probablement une lettre de Lanoue. Je crois avoir reconnu
l'ecriture. Tu ne l'as pas ouverte.
C'etait vrai. Moi qui attends avec une si febrile impatience le courrier
qui ne m'apporte presque jamais rien, moi qui n'ouvre jamais une lettre
sans penser qu'elle contient la grande nouvelle capable de bouleverser
mon avenir, je n'avais pas decachete cette lettre-la.
Je l'ouvris avec un sentiment de morne defiance: ce ne pouvait etre
qu'une mauvaise nouvelle. Je naviguais dans une de ces passes ou l'on se
trouve offert aux coups du sort, qui se fait rarement faute d'en
profiter.
Ce n
|