ps-la, les peuples etaient bien ingrats!
Quand ils se virent si peu recompenses, Azor et Noemi, s'ils avaient eu
des ames moins vaillantes, auraient desespere de l'avenir; mais le bel
Azor: "J'avais tort, se dit-il, de negliger l'education de mon eleve, il
sera peut-etre un jour quelque grand prince, et je veux lui enseigner
l'art de la guerre." Au meme instant, l'epagneul ceignit son grand
sabre, et, mettant un fusil chassepot entre les mains du petit joueur
de trompette: "Une, deux, trois! portez armes! presentez armes!" Azor
accomplissait et surtout il enseignait tous ces beaux mouvements
beaucoup mieux qu'un sergent de la garde nationale. Il savait jusqu'aux
mots: _En joue_, et _Feu!_ toute la gamme militaire. Enfin rien ne
l'etonnait: une mine, une contre-mine, une barricade. Il excellait
a planter un drapeau gris de lin (c'etait la couleur du drapeau du
Ludistan) sur les tourelles les plus elevees; il entrait par la breche
et defiait les canons les mieux rayes. Avec cela, modeste un peu plus
qu'il ne convient a des victorieux. Quoi d'etonnant? il avait appris la
modestie a l'ecole d'un jeune lievre qui tirait un coup de pistolet, et
qui respirait l'odeur de la poudre avec autant de bonheur que la suave
odeur du thym ou du serpolet.
[Illustration: Malbroug s'en va-t-en guerre.]
Ce brave Azor menait de front l'utile et l'agreable; en meme temps qu'il
enseignait l'exercice a son eleve, il lui montrait comment on plait aux
dames; il relevait le mouchoir de celle-ci, il presentait ses gants a
celle-la. Il sautait pour le roi, pour la reine, et parfois pour le
ministre. Il flattait le riche, et voila le miracle: il epargnait le
pauvre! Enfin, docile a ces exemples, Noemi plaisait a tout le monde.
Aussi bien la reine et le roi ne tarissaient pas sur les louanges de
leur fils adoptif: "Il a tout devine, disaient-ils; sans maitre, il
apprend toutes choses; a la chasse on ne sait pas comment il s'y prend,
mais jamais il ne revient bredouille." Ils ne se doutaient pas, ces bons
princes, que l'epagneul faisait lever tout ce gibier sur les pas de son
cher Noemi.
"Et maintenant, se disait maitre Azor, il ne manque a mon disciple que
d'etre un menager de son propre bien, et il le menait dans le domaine
des fourmis.--Je veux aussi qu'il soit un habile artiste," et de bonne
heure il l'eveillait pour qu'il entendit le tireli joyeux de l'alouette
matinale. Il faisait de toutes les creatures de ce bas monde autant de
maitre
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