tin; a quinze ans, l'espagnol
et l'italien n'avaient plus de secrets pour elle; elle lisait Shakspeare
en anglais et Klopstock en allemand. Trois fois par semaine arrivait
le maitre de mathematiques et le maitre a danser, le menuet et les
equations allant de compagnie. Elle ecrivait en vers, elle ecrivait en
prose. Au Tasse elle empruntait son Armide; a l'Arioste son Angelique
et son Roland. L'une des premieres, elle eut l'honneur d'etudier les
premiers tomes de l'_Histoire naturelle_ de M. de Buffon, _genie egal
a la nature_, disait la statue elevee au jardin du Roi, par l'ordre
de Louis XVI. Ainsi se passait la journee, et, le soir venu, la
jeune demoiselle allait tour a tour, a la Comedie italienne, au
Theatre-Francais; et le lendemain des grandes soirees, c'etait merveille
d'entendre ce jeune esprit raconter a sa jeune cousine la comedie ou la
tragedie nouvelle: "J'etais hier, dit Laurette, a la Comedie italienne,
ou j'ai vu la petite Camille jouer le role de mere dans _Arlequin perdu
et retrouve_."
Encore aujourd'hui, dans le vieux chateau, non loin de Mantes la Jolie,
vous retrouveriez la trace et le souvenir de Laurette: "Il pleut, tout
notre monde est a la maison; les hommes jouent au billard, les dames
lisent dans le premier salon, et moi, je suis restee dans le second,
a lire et a vous ecrire. Ce chateau est beau; le jardin, surtout, est
delicieux. Il y a des eaux magnifiques et de tres belles promenades. Les
appartements, quoique simples, sont fort nobles. J'ai une petite chambre
dont les fenetres donnent sur le parc. Elle est separee de celle de ma
mere par une antichambre et un cabinet. Je m'amuse assez ici; nous nous
promenons beaucoup. Je me leve quelquefois a six heures, et je vais
reveiller mon pere, qui loge dans le jardin, dans le corps de logis des
bains, pour me promener avec lui. Cela dure jusqu'a huit heures; ou
bien, quand je me suis fatiguee la veille, je me coiffe, je m'habille,
je travaille jusqu'a une heure et demie. Nous dinons a deux heures; je
reste quelque temps au salon, puis je me retire dans ma chambre jusqu'a
l'heure de la promenade, qui a lieu ordinairement a six heures jusqu'a
neuf. Nous soupons a dix heures. Telle est ma vie."
Ainsi disaient nos grands-peres, sur le bord de l'abime. On ne parle, en
ces lieux paisibles, que de ballets, de comedies et d'operas nouveaux.
Mme de la Popeliniere a chante, sur le theatre de Passy, le role
d'Orphee (il ne s'agit pas encore du chevalier
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